Le Bal des Tartuffes, ou le dernier Polanski
Les commentaires se déchaînent sur le « petit cinéma » de Jean-François Fournier, où le rédenchef du très conservateur Nouvelliste a eu l’imprudence de livrer une opinion non conformiste sur l’extradition de Roman Polanski par la Suisse.
Il y a quelque chose de terriblement régressif dans cette affaire et les échos qu’elle suscite. D’un côté, la levée de boucliers machinale des « milieux culturels », notamment en France, qui à travers le cas Polanski pétitionnent pour leur propre immunité face aux lois communes, écrites ou non, de la société où nous sommes. Immunité dont ils risquent parfois d’avoir grand besoin, si l’on lit par exemple les vantardises d’un Frédéric Mitterrand (le Ministre de la Culture, Madâme!) dans son livre La Mauvaise Vie (2005) à propos de son commerce avec des jeunes gens dont l’âge n’est pas précisé, mais certainement très vert.
Vu les lubies de censure qui soufflent sur l’époque comme des ouragans aléatoires, nul ne peut dire pour quelle bagatelle d’aujourd’hui on l’écartèlera demain.
De l’autre, le légalisme servile d’un gouvernement désarticulé comme un pantin sans maître. Et derrière toute la scène, l’ombre ricanante du Grand Inquisiteur, jonglant tour à tour avec le permis de jouir et une répression morne mais rassurante.
Certes, Polanski a violé une gamine. Certes, il est révoltant de voir une camarilla de petits copains se dresser comme un seul homme pour tenter de mettre l’un des leurs à l’abri de la justice ordinaire, sans autre argument que son statut de VIP internationale. Pataugez dans votre fange, manants, et pas touche à notre liberté de « créateurs » que vous ne pouvez pas comprendre: voilà le sens du message et il est véritablement choquant.
La population ne s’y trompe pas en se rangeant, en Suisse comme en France, du côté de la justice. Mais de quelle justice s’agit-il?
Entre la lettre et l’esprit, il y a la distance du pharisien au disciple, de la lune au soleil, du totalitarisme à la civilisation. Mme Widmer-Schlumpf s’est accrochée à la lettre, sans doute en frétillant d’aise de pouvoir offrir une tête sur un plateau à l’Attila du moment, qui campe à Washington. S’il avait été aussi respectueux de ses « engagements internationaux », le gouvernement suisse n’aurait pas autorisé, comme l’a dénoncé Dick Marty, les escales sur son sol des avions de torture de la CIA. Il y avait là une légère entorse à la Déclaration universelle des Droits de l’homme, qui n’est pas qu’un « esprit », mais également une « lettre » servant de fondement à tout l’édifice juridique de la démocratie.
Or, tiens, c’est le même Etat qu’on autorise à enlever, torturer, bombarder, envahir, piller qui bon lui semble et à qui l’on livre un vieux cinéaste génial, libidineux et flapi dont la victime a depuis longtemps passé l’éponge. La répression vertueuse du violeur individuel servant, dans ce cas précis, de diversion face au violeur systémique qu’est devenue la première puissance de la planète.
Tout cela n’a rien à voir avec la justice. Jean-François Fournier a essayé de le rappeler, sans absoudre Polanski. Mal lui en a pris. C’est normal: il a tenté d’être humain!
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