Grec et gravats, le château d’Anny Hertig
Méditation. Dans la cuisine de la maison d’Anny. Printemps 2009.
Anny Hertig habite une maison médiévale et biscornue qu’elle retape toute seule depuis des décennies. Elle y met sa force, son temps, ses économies. Elle y met, surtout, un goût infaillible. Les vieux pigments broyés au mortier — ocre, gris souris, rouge vénitien — y côtoient des lampes d’une extravagance sobre qui sont la gloire du design italien. Il y a des vents coulis dans les couloirs et des cabinets sur le palier dont la chasse sert, à la saison fraîche, de distributeur de glaçons.
D’aucuns s’y plaignent du froid, parfois. D’autres, comme moi, y trouvent une chaleur à nulle autre pareille.
La maison d’Anny possède un cabinet bourré jusqu’au plafond de livres excellents, où je pourrais purger une condamnation pour assassinat sans m’ennuyer un seul jour. Son salon de musique héberge deux clavecins séparés par un plancher presqu’aussi sonore, mais beaucoup plus ancien. Ses murs austères s’égayent des rêves énigmatiques et enfantins de Pierre Loye, son ami, qui est un grand peintre.
Dans sa maison, avec l’aide d’un vieil ami, Anny a posé un dallage d’ardoise presque noire, orienté en diagonale pour faire respirer l’espace et pâlir d’envie les carreleurs de métier.
Dans l’entrée de sa maison attendent des ballots de laine de mouton avec lesquels Anny isole ses soupentes. Lorsqu’on lui parle de ses travaux écrasants, Anny plaisante en les appelant « mes séances grec et gravats ».
La maison d’Anny respire le salpêtre, le travail vrai (celui des mains) et la culture classique. Il est peu de maisons comme la sienne. Ce sont les refuges d’une conception de la vie très éloignée de la diarrhée consumériste.
La maison d’Anny est le portrait de sa châtelaine. Elle est exigeante et inconfortable comme tout ce qui est noble. Elle cultive l’essentiel, mais avec un humour rentré que les cuistres ne perçoivent même pas. Elle est généreuse et accueillante pour tous ceux qui savent ce que générosité et accueil veulent dire.
Voilà ce que je sais personnellement d’Anny. Le reste, comme tout le monde, je l’apprends par la presse. Qu’Anny Hertig a été licenciée de son poste de professeur avec effet immédiat pour « maltraitance psychologique » à l’égard d’une élève. C’est possible. Probable, même. A l’heure où toute exigence de savoir, de la part d’un professeur, est assimilée à du harcèlement, Anny doit avoir un véritable casier judiciaire. Son cours de grec ou de latin doit être une prison d’Abou Ghraïb pour tous ceux qui traversent leur éducation avec un ipod dans les oreilles et dans leur dos la bienveillance des démagogues scolaires qui s’emploient à créer un monde de demain fait de consommateurs déracinés, dépendants et abrutis. Le slogan à la mode du développement durable s’arrête à la porte de ces classes où la seule tendance durable est la régression.
Le seul autre cas de licenciement avec effet immédiat, dans les écoles vaudoises, était motivé par de la pédophilie. Avec Anny Hertig, voici que l’hellénophilie, la latinophilie, la culturophilie deviennent des crimes du même rang. Par une sévérité draconienne, sa directrice a voulu s’assurer qu’elle ne contaminerait plus personne avec ses lubies. Que plus personne, après elle, n’aurait idée de transformer des maisons en ruine en sanctuaires d’art et d’histoire.
Hélas, le juste couperet de l’Egalitarisme a peut-être sévi trop tard. A voir la propagation virale de son cercle de supporters — le groupe « tous derrière Anny Hertig » sur Facebook —, l’âge et les déclarations de ceux-ci, il semble bien que la pandémie Hertig ait débordé du préau de Burier. Etranges sympathies pour une prof tortionnaire et réac...
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http://www.24heures.ch/vaud-regions/actu/controverse-autour-renvoi-enseignante-2009-09-30
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