lundi 26 août 2013

Le seul événement spirituel du XXIe siècle

Le titre de l’édition française ne dit pas grand-chose. Père Rafaïl et autres saints de tous les jours. Un petit côté douceâtre-cul-bénit qui pourrait refroidir les éventuels lecteurs de moins de 70 ans. Le titre original est bien plus claquant, et même taoïste dans son paradoxe: Несвятые святые, “Saints non-saints et autres histoires”. L’auteur en est un moine qui eût été cinéaste si la Providence ne s’en était mêlée. Il est, murmure-t-on, le confesseur de Poutine. Son livre est la meilleure vente en Russie depuis 2012. Vous imaginez un recueil de vies de saints — fussent-ils non-saints — trôner en tête de gondole à la FNAC?

Non. C’est tout simplement impensable. C’est pourquoi l’on n’y pense pas. Même quand on en rêverait.

C’est à ces lecteurs-là que je m’adresse. A ceux qui ont relégué la foi chrétienne au rang des sectes et des superstitions, je recommande la Philosophie du vin de Béla Hamvas, qui est un “livre de prières pour les athées” d’une phénoménale insolence. S’ils arrivent à endurer les sarcasmes du Hongrois à l’égard de leur “mauvaise religion”, la “pire” qui soit — l’athéisme —, alors bon. Nous ne sommes vraiment pas de la même planète. Avons-nous même des organes sensoriels semblables?

Couverture Père Rafaïl

Pour ceux qui se réveillent chaque matin, comme moi, sur une planète bleue baignée dans la lumière divine — et quel que soit le nom qu’ils donneront à cette lumière — le livre de Tikhon est un compagnon providentiel, inespéré. Il parle directement aux cœurs. Il se passe de toute doctrine. Tout n’est qu’exemple, que réalité et que vie vécue. Seule la transcendance — selon Hamvas encore — nous permet d’appréhender le réel dans toute la saveur de sa présence matérielle et c’est pourquoi ce recueil de témoignages et de portraits empreint d’une foi profonde est sublimement succulent. Même les heures de corvées monotones et de prières répétitives y ont un goût unique et… divin. Sans parler des personnages. Des destinées prodigieuses, tragiques, que cachent ces barbes blanches et ces bures. Des persécutions sans nom que ces martyrs ont endurées avec une humeur égale et plutôt bonne. Des négociations permanentes, et parfois drolatiques, que ces prieurs ont dû mener, des décennies durant, avec les émissaires rouges du Diable en personne. Du refus absolu de juger qui que ce soit. De l’amoralité de la grâce. Des pannes de voiture providentielles. Des policiers miraculés. Des mille et un secrets de survie dans un Etat déchaîné contre sa propre population et sa foi…

Le livre de Tikhon nous rapproche de la sainteté et de l’enchantement du monde comme par un coup de zoom ultrapuissant. C’est instantané. Jubilatoire. Sans réplique. Et nous nous rappelons soudain qu’il est possible, et même bon, d’être bon. D’être simple. D’être humble et patient. Qu’aucune puissance de ce monde ne peut briser l’agneau. Il ne parle pas comme un bréviaire, ni comme un calendrier de saints. Il parle comme un jeune Russe, soviétique et cinéphile qu’il a été et qu’il est encore, malgré les années. Il ne parle pas à des vieilles chaussettes, il nous parle à nous, croyants ou non, russes ou non, saints ou non saints. La seule différence d’avec un profane, c’est que Tikhon a vu d’où venait la lumière, et qu’il ne s’en est jamais rassasié. Et qu’il sait nous faire comprendre qu’être nostalgique de la sainteté, c’est déjà être saint. Et qu’il communique sa joie comme aucun auteur n’a su le faire depuis longtemps.

Les éditeurs et les traducteurs de ce livre unique se verront déchargés de bien des hypothèques à l’heure dernière. Je m’afflige de n’être ni des uns ni des autres. Aussi j’ai bon espoir que M. de Pahlen, le patron des Syrtes qui nous offre ce joyau, ne m’en voudra pas de retraduire ici un passage:

A propos d’une sainte confrérie (histoire qui pourrait figurer dans un futur Prologue)

Il existait, à la veille de la Révolution, quelque part au fin fond de la Russie, un monastère dont on disait que les moines n’étaient qu’un ramassis de flemmards et d’ivrognes. Pendant la geurre civile, les bolchéviques firent irruption dans la bourgade voisine. Ils rassemblèrent la population sur la place du marché, et alignèrent également les moines sur un rang.

Le commissaire s’adressa alors à la population, en montrant les soutanes noires:

— Citoyens! Habitants de cette ville! Vous connaissez tous mieux que moi ces ivrognes, ces gloutons et ces feignants! Leur règne touche à sa fin. Mais pour que vous puissiez bien comprendre comment ces tire-au-flanc ont berné des siècles durant le peuple des travailleurs, nous allons déposer ici, sur ce sol devant eux, leurs croix et leurs évangiles. Et à présent, sous vos yeux, chacun d’eux va piétiner ces instruments de tromperie et d’asservissement populaire. Puis nous les laisserons s’égailler où bon leur semble.

Il y eut quelques rires dans la foule.

Mais alors, voici que sous les cris et les quolibets, s’avance l’higoumène (père supérieur), un homme costaud au visage large et creusé et au nez rouge, qui parla ainsi à ses moines:

— Eh bien voilà, mes frères, nous avons vécu comme des cochons, mourons au moins comme des chrétiens.

Dès lors, aucun des moines ne broncha. Ils furent tous décapités au sabre le jour même.

Heureux les peuples qui lisent davantage Tikhon que Dan Brown! Pesez sur les statistiques françaises: commandez-là à votre libraire en toute urgence, non seulement pour votre salut, mais encore pour votre joie (c’est un peu la même chose).

PS A lire, en guise d’avant-goût, l’entretien que l’archimandrite Tikhon a accordé à Antoine Colonna et Jacques de Guillebon.

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