mardi 7 août 2012

Je hais la clim'!

A l'approche de la fin du monde annoncée, même le climat se délite. Pendant qu'en Suisse l'on grelotte sous la pluie, les Balkans halètent par 38 degrés à l'ombre et guettent désespérément ce nuage qui remettra du vert sur leurs gazons torréfiés. 

Cela ne nous a pas empêchés de monter avec les enfants un raid archéologique sur le Danube. Le défilé des Portes de Fer, entre Serbie et Roumanie, recèle les plus anciennes traces de civilisation sur sol européen, ainsi que des vestiges antiques qui feraient la fortune d'un pays plus habile à s'autopromouvoir. 

En attendant, nous avons dû faire étape avec, sur la banquette arrière, une véritable mutinerie criant "la piscine ou la mort!". Et le lieu qui nous a permis d'éviter le lynchage mérite description. 

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C'est, au coeur d'une vallée paisible et sauvage, un château fort avec créneaux et redoutes, en toc bien entendu, qui semble tout droit sorti de Disneyworld. L'entourent d'incroyables boyaux bariolés, comme s'il était attaqué par un poulpe psychédélique. Non, la canicule ne nous fait pas délirer: il s'agit d'une station de bains toute neuve qui s'enorgueillit du premier aqua-parc thermal de Serbie. Elle se dresse, extravagante, au milieu de nulle part, telle un casino au Kazakhstan, ayant poussé comme un roseau sur une puissante source à 42 degrés. 

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On y trouve des "suites à thème" avec jacuzzi et déesses dépoitraillées en stuc qui invitent à l'adultère. Les installations cèdent déjà à l'usure prématurée qui est le destin de tout ce qui pousse dans cette partie du monde, humains, objets ou Etats. Dans les bassins tortueux, la sono ne s'arrête jamais. 

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Etrangement, je songe au Mexique ou aux gats funéraires de Bénarès, où le Hindou se fait incinérer dans une profusion de couleurs et par 110 décibels de musique turbo-pieuse. Là où l'Occident blasé cultive la restriction, le reste du monde préfère naturellement l'exubérance. 

A l'entrée du domaine, en contrebas de la route, une vanne qui fuit, sans doute délibérément, a formé un étang où vient se tremper jour et nuit une population braillante qui n'a pas les moyens ou l'envie de payer pour son eau: dernier rappel d'un temps où la gratuité des dons de la nature n'était pas l'exception mais la règle. Tels les "tapagoilles" médiévaux qui traquaient les grenouilles pour faciliter le sommeil des châtelains, des employés descendent par moments prier l'humanité nu-pieds de baisser le ton.

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Dans nos chambres à double vitrage, nous les entendons à peine. Nous n'aimons pas la grisaille, mais nous ne supportons pas non plus les belles chaleurs. Le touriste moderne, grand hypocondriaque, ne dort pas sans assistance électronique. Le simple ventilateur n'y suffit plus. Le Dr Panasonic est là pour climatiser son caveau hermétiquement scellé. 

A minuit, accroupi au bord du trou d'eau avec les curistes de fortune, je comptais les climatiseurs sur la façade de l'hôtel. Indénombrables! Autant de ponctions frivoles dans les ressources de la terre et qui, inexorablement, hâtent notre fin.


Le Nouvelliste, 13 juillet 2012.

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