mercredi 20 juin 2012

Le monde à livre ouvert

On me presse de prendre position sur les événements de Syrie, d’en évoquer les coulisses géopolitiques. Il me semble qu’il n’y a plus de position à prendre sur de tels objets et que ceux qui n’y voient pas encore clair feraient bien de consulter leur oculiste. Voici donc un gouvernement bête en plus d’être méchant et qui s’acharnerait à massacrer ses propres citoyens pour les laisser filmer ensuite et se discréditer ainsi aux yeux du monde. Je parle bien sûr du massacre de Houla. Le fait que ce crime ait été finalement l’œuvre du camp d’en face — les « bons » — a été contourné comme un lit de braises par nos pudiques médias. Cela rappelle trop le scénario élaboré pour détruire le pays où je suis né et qui n’existe plus, la Yougoslavie. Qu’il me suffise, à titre d’illustration, de noter qu’aucun média occidental n’a relevé l’arrestation en Israël, fin mai dernier, du principal inculpé dans l’affaire du trafic d’organes humains au Kosovo. On passe les menottes à un émule probable du Dr Mengele ou d’Hannibal Lecter, et nul n’applaudit ! Pourquoi ? Parce que les humains dépecés étaient du mauvais camp ? Quoi qu’il en soit, la révélation de cette épouvante par l’enquêteur suisse Dick Marty n’aura pas valu à ce dernier le Nobel de la Paix, mais uniquement l’Oscar des emmerdes.

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L'alliance des «libérateurs»: Thaçi, parrain des parrains, Kouchner, docteur compromis, Jackson, général servile, Çeku, criminel de guerre et Clark, exploitant charbonnier.

Ce n’est pas assez clair ? Ajoutons ceci : que le général Wesley Clark, commandant de la coalition qui bombarda la Serbie en 1999 au nom de la démocratie, vient d’annoncer son projet d’exploiter les gisements de houille de ce Kosovo qu’il « libéra » jadis comme on libère un capital, à la grande joie des barons de la drogue et des trusts anglo-saxons. Lorsque je disais, voici treize ans, que c’était le vrai but de la croisade occidentale, on me traitait de fasciste.

Sans doute ai-je mes partis pris, mais j’ai aussi des yeux pour voir. Les vertueuses croisades démocratiques, auxquelles on tient tant à faire adhérer la Suisse, finissent dans la rapine et le chaos. C’est leur seul bilan réel, une fois qu’un a tiré le trait sous les belles intentions. Comment se fait-il que, dans nos sociétés de comptables, si peu de gens aient la lucidité de tirer de tels bilans ?

Ceci m’amène au vrai sujet de ma chronique. Le 22 juin prochain, je suis invité à la bibliothèque de Saillon pour un exercice redoutable : présenter ma « bibliothèque idéale ». Une bibliothèque intime n’est pas un agrément, ni une décoration de salon. C’est l’ensemble des influences qui ont façonné en profondeur une vision du monde. Les révéler, c’est un peu dévoiler son arsenal. Le mien est essentiellement littéraire. Car la littérature, depuis la nuit des temps, colporte la seule vérité sur l’homme, ses vices et ses mobiles qui ne soit pas susceptible de manipulation. Elle est le pilier de notre compréhension de soi et du monde. Faut-il s’étonner si les fabriques d’ignorance modernes font l’impasse sur la culture littéraire ? Les puissants de ce temps n’ont pas besoin de citoyens avertis, mais de papillons sans mémoire qui se cogneront mille fois à la même vitre.


Le Nouvelliste, 19 juin 2012.

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