mardi 22 novembre 2011

Le syndrome Audrey Rose

Le syndrome Audrey Rose

Robert Wise est le plus grand des cinéastes méconnus. Nous ne lui devons pas seulement West Side Story ou ce chef-d’œuvre du cinéma de suggestion qu’est La maison du Diable. Il est aussi l’auteur d’un grand conte philosophique sur l’aveuglement induit par les certitudes rationnelles. Audrey Rose a péri avec sa mère dans les flammes de leur voiture accidentée. Son père, M. Hoover, croit la retrouver dans une enfant née le lendemain de sa mort. Tout en la suivant de loin, il se documente sur la réincarnation et fait son « coming out » lorsque la fillette tombe dans de graves crises de terreur d’où elle ressort physiquement brûlée. La mère finit par se fier à cet homme malgré ses théories — car elle voit son effet bénéfique sur la gosse. Le père, lui, est un rationaliste blindé. Son esprit trivial ne voit dans M. Hoover qu’un voleur d’enfant. Désavoué au tribunal par sa femme, il réclame une régression hypnotique pour prouver que son Ivy n’a aucune parenté avec la fille de M. Hoover. Malgré les suppliques de la mère et les réticences des psychiatres, il impose le test qui tuera l’enfant dans l’horreur de l’accident revécu.

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Laissons de côté l’enjeu spirituel de cette fable. Elle met en scène un homme, pourtant intelligent et aimant, qui agit comme un imbécile sans cœur pour ne pas renier ses convictions. Les psychologues parlent de la « dissonance cognitive » qui survient lorsqu’une expérience vécue entre en collision frontale avec une vision du monde.

L’actualité récente regorge de courts-circuits de ce genre. Ainsi, en l’espace de quelques jours, nous avons vu, tétanisés, deux vieilles démocraties européennes changer de régime. En Grèce comme en Italie, deux chefs d’État élus ont cédé leur pouvoir à des technocrates sans aucune validation démocratique — les deux fois sous le prétexte que « les marchés ne peuvent attendre ». Sans ciller, des Européens ont accepté la primauté de la bourse sur la volonté populaire, de l’argent sur l’humain. Sans ciller, ils ont livré le destin de leurs États (ainsi que de la BCE !) à des hommes issus d’une même banque américaine. Laquelle banque est l’un des principaux fauteurs de la crise qui, justement, a entraîné les « procédures d’urgence » qui les ont menés au pouvoir. En bref, on a confié la barre à des naufrageurs.

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Qui s’est opposé au « hold-up » de Goldman Sachs sur l’économie européenne ? Qui a dénoncé cette annexion de la zone euro à un système financier plus malade qu’elle ? Personne, ou presque. On a surtout entendu des louanges bébêtes sur les vertus d’un « Super-Mario » ou de quelque autre Pac-Man venu du monde virtuel.

Et pourquoi ?

Parce que mettre en question le caractère démocratique d’un quelconque processus interne à l’UE relève de la « dissonance cognitive » dans le climat d’endoctrinement quasi-hypnotique où vit l’Occident. Il nous est moins douloureux de veiller sur la démocratie en Syrie, au risque d’une guerre majeure, que de constater son dépérissement chez nous.

Le Nouvelliste, 22/11/2011

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