jeudi 13 octobre 2011

Le parapluie de Jaruzelski

L’histoire remonte à la Guerre froide, mais elle n’a rien perdu de son croustillant.

Comme il se promenait dans une rue du centre de Varsovie, le général Jaruzelski, dernier président communiste de la Pologne, est abordé par une connaissance. « Camarade général », s’étonne le passant, « pourquoi portez-vous un parapluie ouvert par ce beau temps ? — Ne savez-vous donc pas qu’il pleut à Moscou, camarade ? » répond le polichinelle soviétique, offusqué par l’aveuglement de son concitoyen devant une telle évidence.

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Le Pacte de Varsovie était un exemple de relation tyrannique et coloniale entre une puissance et ses satellites. Le parapluie de Jaruzelski était, pour quiconque faisait partie de la nomenklatura, synonyme à la fois de boussole et de bouée de sauvetage. L’effondrement de l’URSS, voici vingt ans, devait mettre fin à ce genre d’esclavage. Et pourtant…

On entendit d’abord la même plaisanterie, mais adaptée aux nouvelles réalités. Ce n’était plus Jaruzelski prenant sa météo à Moscou, c’était notre Vàclav Havel qui prenait la sienne à Washington. La blague nouvelle version était courante à l’est de Vienne, mais n’était guère reprise à l’Ouest. C’est que les puissants ont toujours de la peine à nommer correctement la lèche dont ils font l’objet. Ceux d’ici préfèrent l’appeler « ouverture d’esprit », « conviction démocratique » ou « vent de réforme ». Et ils se sont tellement rengorgés, en entendant vanter partout les vertus de leur système sans égal, qu’ils en ont lâché leur fromage. Comme le corbeau de la fable.

Les voici aujourd’hui réduits à attendre, hébétés, leur banqueroute financière tout en contemplant l’expansion spectaculaire des anciens va-nu-pieds russes et chinois. Ceux-là mêmes qu’on considérait voici quelques années encore avec une infinie condescendance mêlée de pitié gratuite.

Le grand logicien et satiriste russe Alexandre Zinoviev, dont j’ai eu la chance d’être l’ami, disait que l’idéologie n’était qu’une structure — de pouvoir et de mentalité — indépendante de tout contenu. Un totalitarisme basé sur l’irresponsabilité et la servilité peut bien se réclamer de Marx ou de Lénine. Mais il peut aussi se réclamer du libéralisme. C’est égal.

Depuis vingt ans, les pays d’Europe occidentale ont ainsi réglé leurs parapluies sur le climat américain. Les preuves abondent : leur suivisme dans les guerres pétrolières, leur boycott minoritaire et ridicule du dernier discours du président iranien aux Nations Unies, la capitulation des institutions publiques devant le diktat des grandes corporations. Ils auront suivi leurs mentors jusqu’au bord de la faillite. A un détail près : c’est qu’à la différence de la non-entité politique qui couvre l’euro, le dollar, même vacillant, est garanti par un budget militaire équivalant aux dépenses du reste du monde. Un cow-boy si bien armé peut bien rallonger son ardoise au saloon. Tandis que le porte-parapluie qui trottine derrière lui devra tout payer cash. Ou faire la plonge…

Le Nouvelliste, 12.10.2011.

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