lundi 10 janvier 2011

Auto-test

J’adore feuilleter les vieux journaux. Ils nous rappellent nos sacro-saintes vérités d’hier et la brièveté de leur règne. C’est ainsi que j’ai dévoré l’autre jour le test de la Renault 15 GTL paru en 1976 dans un magazine populaire. 
Pour essayer ce coupé anguleux, deux journalistes s’étaient offert une virée jusqu’à Madrid et retour: 3200 km de routes, d’autoroutes, mais aussi de petits bistrots, de galeries et de musées. Les veinards, se diraient leurs collègues d’aujourd’hui, réduits à de succincts et pédants comptes rendus techniques. 

Mais daigneraient-ils même s’asseoir dans cette barquette brinquebalante? Le modèle essayé souffrait, entre autres, d’une voie d’eau et ses vitres vibraient à vous assourdir dans les hautes vitesses. Qui, ceci dit, n’étaient pas si hautes que ça, puisque nos pilotes n’avaient jamais réussi, malgré leurs efforts, à atteindre les 170 km/h vantés par le constructeur. C’était sans doute heureux, car le freinage ne semblait pas excessivement fiable. La Régie ayant oublié de prévoir un plafonnier, la lecture des cartes à la lumière de la boîte à gants ressemblait à un rite clandestin, tandis que l’accès aux sièges tenait du yoga. Néanmoins, l’engin ne manquait pas de confort, grâce, notamment, au généreux cendrier central placé entre les deux baquets arrière… 
Ayant signalé ces quelques menus défauts, les testeurs se disaient enchantés de ce bolide de 90 ch qui les avait bravement ramenés au port. La voiture, à leurs yeux, restait avant tout un moyen de transport, non une prouesse scientifique adulée en soi.
Je croyais rêver. Tabagisme, excès de vitesse, bombance, digressions sans rapport avec le sujet… Ces journalistes travaillent peut-être encore. Or, de nos jours, un article comme celui-là leur vaudrait le renvoi. Sans parler de l’engin. Le successeur de ce coupé sport a un cendrier en option et le double de puissance. Mais celui qui l’embarquerait pour une virée à Madrid dans les mêmes conditions finirait au trou. La cavalerie, ça en jette, mais ça ne sert plus à rien.
L’espace d’un instant, je les ai enviés, eux et leur casserole. Leur équipée polluante avait le parfum des grandes plaines et de la liberté. Comment avons-nous fait, en une génération, pour faire du monde dit libre cet hospice sécuritaire peuplé d’hypocondriaques?

(Chronique du Nouvelliste, 9 novembre 2010.)

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