Le Kosovo de Pierre Péan
Le nouveau livre de Pierre Péan, paru cette semaine chez Fayard, est un pavé noir de cinq cents pages. Sur la couverture nous dévisage un homme masqué par une cagoule frappée de l’emblème de l’UÇK. Au-dessus, un sous-titre rouge: « Une guerre « juste » pour un État mafieux ». Et surplombant le tout, en grosses lettres blanches: Kosovo.
Le nouveau Péan est plus qu’un pavé: un monument de lucidité. Un temple du courage intellectuel et physique. Une brique d’amertume. Il s’ouvre et s’achève par le récit d’un épisode parmi les plus horribles de la guerre civile yougoslave: l’extraction, à vif, du cœur d’un jeune homme serbe par un jeune médecin albanais, tremblant de terreur, qui finira par se rendre et se confesser des années plus tard, hanté par son crime et traqué comme témoin gênant par ses ex-patrons, trafiquants de chair humaine. Lesquels patrons, Péan l’affirme à la suite de Dick Marty, sont des personnages de premier plan de l’État mort-né du Kosovo, issu de l’union passionnée de l’OTAN et d’une mafia sans merci.
Le voici dans toute sa hideuse vérité, belles âmes humanitaires, le fruit de vos songes creux. Si le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions, nous interroge Péan, à quoi mène cette autoroute d’illusions, de manigances politiques et d’aveuglement délibéré? Son livre est une encyclopédie de la manipulation. En l'ouvrant, c’est une malle de souvenirs cauchemardesques que je déverrouille dans ma tête. Guerres fratricides attisées de l’étranger; montages photo à charge, grossiers et bâclés comme le sont les mensonges les plus efficaces; rumeurs de « camps de la mort » et de « viols de masse » jetées après usage, mais qu’il était interdit de questionner sur le moment; dizaines de courriers inutiles à des rédactions de presse qui s’étaient promues agents RP des « gentils », bosniaques ou albanais; 78 jours de bombes sur la Serbie à cause de son refus de ramper; les ministres occidentaux se jetant dans les bras des caïds balkaniques…
D’écœurement devant tant de bêtise, j’avais opté pour le camp des « méchants » Serbes. Passer pour un vilain aux yeux des imbéciles est une volupté de fin gourmet, aurait dit Courteline. Mais c’est faux. Cela flatte votre orgueil un instant, puis cela vous fait désespérer: soit de votre propre santé mentale, soit de celle des humains qui vous entourent.
Le pavé de Péan, fortement documenté, est moins une consolation qu’un soulagement: non, ce n’était pas mon esprit qui déraillait. L’affaire qui a marqué mes années d’apprentissage et formé ma vision du monde était bel et bien un « Tchernobyl de l’information » qui a irradié les consciences en Occident, étouffé le sens commun et fait de l’esprit des masses un disque dur vierge, sans mémoire ni structure logique, prêt à avaler n’importe quel bobard diffusé d’« en haut ». Si, désormais, les nouvelles du monde à l’intention du grand public ressemblent à des contes à dormir debout, c’est dans l’ex-Yougo que ce théâtre de Guignol fut testé et mis au point.
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