Un dimanche à Sirmium
A cause de cette maudite heure d’été, n’ai même pas remarqué qu’il était quatre heures et demie lorsque je me suis couché ce matin. Avais passé la nuit à corriger le Djihad, en regardant des bouts de film dans les intervalles.
La journée est radieuse, chaude. Levé à 10 h (“moi qui croyais déjà que tu t’étais intoxiqué avec le poisson d’hier soir”, m’accueille Babala, toujours optimiste!), pris le café avec l’oncle, dépoussiéré et regonflé le vélo, et en route vers l’église. Juste pour sentir l’encens et allumer quelques cierges.
J’y suis arrivé pile à la fin, à onze heures. On faisait communier quelques enfants arrivés trop tard (encore cette maudite heure d’été! *). Les petites femmes-canettes à foulards sortaient en baissant la tête. Suis allé vénérer les icônes et saluer le prêtre, entendre sa grosse voix mélodieuse. Cela m’a suffi.
Me retrouver dans la vieille “petite église” qui s’enfonce élégamment dans le limon de la Save, posée sur son ancêtre qui fut l’une des premières d’Europe et qui connut le même sort (elle s’enfonce, et alors? On a le temps…). Voir ce peuple simple, fatigué, silencieux et serein. Humer l’odeur des tapis humides, de la cire et de la chaux. Resortir, dégager le vélo d’un râtelier antique et tordu où mon vieux “Mondia” ressoudé fait figure de Bentley. Repartir, sans hâte, le long des commerces décrépits, parfois ouverts et parfois non, avec les vendeuses qui fument et qui bavardent entre deux portes... Voilà qui nous rappelle que notre vie est là. Pas seulement la mienne, moi qui suis né ici. Notre vie à tous, blancs et baptisés, qui finissons par nous accommoder, là-bas à l’Ouest, et faute de contrepoint, à une existence de rats de laboratoire. (Et quand je dis “là-bas”, ce n’est pas géographique: la géographie est intérieure.)
Midi. Retour dans ma cellule blanche avec ses bons meubles en frêne blanc construits par le menuisier de la rue, sur mesure, pour moins cher que chez les esclavagistes d’Ikea **. Dessous, les femmes parlent fort d’une cour à l’autre, toujours des mêmes affaires, et s’invitent toutes les cinq minutes à passer prendre le café. Les répliques vont et viennent en résonnant comme des passes de tennis. La tourterelle est si opiniâtre (houhou-hou!) qu’on ne l’entend même plus. J’ai mis un rameau de saule tout juste bourgeonnant dans une bouteille de Knjaz Miloš, au coin du bureau. Une demi-heure de travail, et je repars chez Ena, pour le dîner.
Ici, les ingénieurs des âmes, les maîtres du temps, se sont cassé les dents. Ils ont dû abandonner la partie, et c’est pourquoi ils se vengent en dépeçant nos terres. Ils ne voient pas ce que je vois, et que nous devrions tous voir: les frontières ne sont rien. Elles ne peuvent pas cloisonner l’air, le ciel, l’esprit des hommes et des lieux. Pas dans la perspective brève qui est la leur. Elles peuvent seulement nous soumettre à l’oppression d’autrui — or c’est là que nous existons le plus fort. Avant de nous éliminer, malgré notre démographie nulle, ils auront eux-mêmes disparu. Le pic du pétrole est dépassé, l’expérience du ratorium humain entre elle-même en récession. Nous sommes sauvés.
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* : Il y a de quoi méditer sur le fait que l’Europe est la seule partie du monde où le zèle bureaucratique ait réussi à modifier l’horaire des astres. A mettre en rapport avec l’islamisation actuelle. Nivellement actif et organique remplissant les trous du néant passif et pétrifié...
** Ikea: le mot-clef me replonge dans le cauchemar. Je songe à ce sépulcre suédois, le fondateur, tapi derrière ses milliards sur les hauts de Lausanne, et qui guette les soldes à la Coop. La presse, toujours prompte à donner des leçons, le débusque, le traite de radin. Et lui, au lieu de les envoyer promener en vrai Harpagon, débourse aussitôt un demi-million pour colmater la rumeur. Il a versé son obole, la bête est apaisée. Elle n’ira pas photographier les petites Xenia qui s’empoisonnent à la colle, à journée faite, pour le compte de ce crabe. C’est dans ces transactions-là, entre coeur et calculette, que réside toute l’horreur du monde occidental. Il mérite son sort, mille fois!
La journée est radieuse, chaude. Levé à 10 h (“moi qui croyais déjà que tu t’étais intoxiqué avec le poisson d’hier soir”, m’accueille Babala, toujours optimiste!), pris le café avec l’oncle, dépoussiéré et regonflé le vélo, et en route vers l’église. Juste pour sentir l’encens et allumer quelques cierges.
J’y suis arrivé pile à la fin, à onze heures. On faisait communier quelques enfants arrivés trop tard (encore cette maudite heure d’été! *). Les petites femmes-canettes à foulards sortaient en baissant la tête. Suis allé vénérer les icônes et saluer le prêtre, entendre sa grosse voix mélodieuse. Cela m’a suffi.
Me retrouver dans la vieille “petite église” qui s’enfonce élégamment dans le limon de la Save, posée sur son ancêtre qui fut l’une des premières d’Europe et qui connut le même sort (elle s’enfonce, et alors? On a le temps…). Voir ce peuple simple, fatigué, silencieux et serein. Humer l’odeur des tapis humides, de la cire et de la chaux. Resortir, dégager le vélo d’un râtelier antique et tordu où mon vieux “Mondia” ressoudé fait figure de Bentley. Repartir, sans hâte, le long des commerces décrépits, parfois ouverts et parfois non, avec les vendeuses qui fument et qui bavardent entre deux portes... Voilà qui nous rappelle que notre vie est là. Pas seulement la mienne, moi qui suis né ici. Notre vie à tous, blancs et baptisés, qui finissons par nous accommoder, là-bas à l’Ouest, et faute de contrepoint, à une existence de rats de laboratoire. (Et quand je dis “là-bas”, ce n’est pas géographique: la géographie est intérieure.)
Midi. Retour dans ma cellule blanche avec ses bons meubles en frêne blanc construits par le menuisier de la rue, sur mesure, pour moins cher que chez les esclavagistes d’Ikea **. Dessous, les femmes parlent fort d’une cour à l’autre, toujours des mêmes affaires, et s’invitent toutes les cinq minutes à passer prendre le café. Les répliques vont et viennent en résonnant comme des passes de tennis. La tourterelle est si opiniâtre (houhou-hou!) qu’on ne l’entend même plus. J’ai mis un rameau de saule tout juste bourgeonnant dans une bouteille de Knjaz Miloš, au coin du bureau. Une demi-heure de travail, et je repars chez Ena, pour le dîner.
Ici, les ingénieurs des âmes, les maîtres du temps, se sont cassé les dents. Ils ont dû abandonner la partie, et c’est pourquoi ils se vengent en dépeçant nos terres. Ils ne voient pas ce que je vois, et que nous devrions tous voir: les frontières ne sont rien. Elles ne peuvent pas cloisonner l’air, le ciel, l’esprit des hommes et des lieux. Pas dans la perspective brève qui est la leur. Elles peuvent seulement nous soumettre à l’oppression d’autrui — or c’est là que nous existons le plus fort. Avant de nous éliminer, malgré notre démographie nulle, ils auront eux-mêmes disparu. Le pic du pétrole est dépassé, l’expérience du ratorium humain entre elle-même en récession. Nous sommes sauvés.
--
* : Il y a de quoi méditer sur le fait que l’Europe est la seule partie du monde où le zèle bureaucratique ait réussi à modifier l’horaire des astres. A mettre en rapport avec l’islamisation actuelle. Nivellement actif et organique remplissant les trous du néant passif et pétrifié...
** Ikea: le mot-clef me replonge dans le cauchemar. Je songe à ce sépulcre suédois, le fondateur, tapi derrière ses milliards sur les hauts de Lausanne, et qui guette les soldes à la Coop. La presse, toujours prompte à donner des leçons, le débusque, le traite de radin. Et lui, au lieu de les envoyer promener en vrai Harpagon, débourse aussitôt un demi-million pour colmater la rumeur. Il a versé son obole, la bête est apaisée. Elle n’ira pas photographier les petites Xenia qui s’empoisonnent à la colle, à journée faite, pour le compte de ce crabe. C’est dans ces transactions-là, entre coeur et calculette, que réside toute l’horreur du monde occidental. Il mérite son sort, mille fois!
1 commentaire:
Ô combien je comprends! A tel point que je m'y suis établi, y retourne régulièrement, pour rasséréné, repartir me confronter avec d'autres réalités moins aimables...
Mais comment s'étonner de cette coïncidence, nous qui nous sommes rencontré il y a pas mal d'années? Peut-être nous recroiserons-nous, cette fois, en cette place plus sereine?
Pour information: http://eurosiberia.com/exchange/spip.php?article43
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