vendredi 28 janvier 2005

Saint-Sava 2005. Un grand jour

Nous venons de vivre un grand jour.
Le 27 janvier (ou plutôt le 14 selon le calendrier julien), c’est la Saint-Sava, l’autre grande fête spécifiquement serbe.
A six mois d’intervalle, presque jour pour jour, les Serbes fêtent le Vidovdan, ou la Saint-Guy, en été, et la Saint-Sava, ou Savindan, l’hiver.
La fête d’été est nationale et largement colorée de paganisme slave. La fête d’hiver, elle, est la quintessence de l’esprit chrétien.
Nous fêtons – et disant nous, j’englobe Grecs, Bulgares, Russes... — un homme qui a, sur cette terre même, illustré devant son peuple et l’humanité de son temps la grande promesse chrétienne, l’unique: la déification de l’homme!
Sava, fils de roi, se réfugia par ruse au Mont Athos, à dix-sept ans, parce qu’il savait qu’il n’avait pas d’autre voie devant lui. Vénéré des moines, encore jeune, il obtint de l’Empereur le droit de fonder un monastère, le premier et unique monastère serbe de la Sainte-Montagne: Hilandar. Le voici encore debout, contre vents et marées, contre pirates et incendies. Debout, ébréché mais non profané. Huit cents ans plus tard! Tout comme le minuscule prieuré situé aux portes de la Montagne: depuis les temps de Sava, chaque jour, chaque nuit que Dieu a faits, un ou deux anachorètes, soumis au canon très austère du saint, prient pour leur salut et le nôtre.
Mais, par sa violente douceur, il obtiendra bien plus encore: la réconciliation de ses frêres sur le trône de Serbie; l’arrêt de deux invasions de son pays; et surtout: l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe serbe vis-à-vis de Byzance. Non un schisme à l’occidentale, mais une indépendance complète dans une tout aussi complète communion! Encore un jalon posé par Sava, vers l’an 1200, et que personne n’a encore réussi à arracher...
Les oeuvres qu’il a accomplies, à elles seules, sont un catalogue trop long pour être déroulé ici. Mais certaines sont de vivantes icônes gravées dans nos mémoires: Sava accueillant Nemanja roi de Serbie, et devenant au monastère le père spirituel de son père terrestre — lui même devenu saint sous le nom de Siméon ; Sava instruisant le peuple, guérissant les maladies; Sava terrassant un roi barbare par la seule parole de Dieu; Sava recevant les icônes au monastère de saint Sabbas, au Sinaï, pour accomplir une prophétie vieille de plusieurs siècles; Sava faisant jaillir l’eau vive des pierres qu’effleurait son bâton de pèlerin...
Car pèlerin il fut, et mourut du reste à l’étranger, en Bulgarie, où la vénération de ses reliques était telle qu’on frôla la guerre lorsque les Serbes voulurent les rapatrier.
Sava, c’était très exactement l’anti-roi Midas. Celui-ci transformait en métal inerte tout ce que ses lèvres effleuraient; celui-là sanctifiait et vivifiait la terre même que ses pas foulaient...

Enlevé ce monde, il continua de rayonner avec une énergie non moindre: comment expliquer sans lui la résurrection, au XIXe siècle, d’un peuple qui avait perdu l’entier de sa noblesse dans la bataille de Kosovo, qui avait connu cinq siècles d’obscurantisme absolu sous le joug ottoman, qui avait perdu sa culture, ses institutions, son écriture même... et qui entrait dans l’ère moderne avec l’étole de saint Sava sur sa bannière?
Les Turcs le sentaient si bien, ce rayonnement, qu’un de leurs pachas, excédé, fit brûler les reliques de Sava sur l’une des collines de Belgrade. Mais ses cendres elles-mêmes auront servi de monnaie pour le rachat de sa terre: à l’endroit même où, en 1599, on incinéra le plus grand saint serbe, s’élève aujourd’hui l’une des plus grandes églises chrétiennes au monde!
Le destin de Sava contient l’ensemble des tragédies de son peuple: ainsi le sacrilège qui crut s’en débarrasser en détruisant sa dépouille était lui-même un Serbe islamisé! Que de présages dans cette apothéose...

Saint Sava est, en Serbie, le patron des écoles et le protecteur des loups. Jusqu’à l’avènement du communisme, tous les matins, les écoliers chantaient l’hymne dédié à leur évangélisateur et premier instituteur. Les écoliers d’aujourd’hui le chantent de nouveau, alors que leurs parents n’en connaissent pas les paroles.


Voilà pourquoi ce jour est important entre tous. Mais voici pourquoi la Saint-Sava de cette année revêt un caractère encore plus solennel et plus bouleversant.
Une dépêche d’agence nous apprend aujourd’hui (voir ci-dessous) qu’un monastère a soumis au Synode de l’Eglise serbe une demande de canonisation, appuyée par une icône déjà peinte de la bienheureuse en question. Il arrive, lorsqu’un saint fait l’objet d’une grande ferveur populaire, que la foi devance le calendrier, et que des icônes se mettent à circuler avant même que le saint soit reconnu.

Le monastère de Tvrdoš, “place dure”, est l’un des plus anciens de la chrétienté. Il est aujourd’hui le siège d’un évêque immense, débordant de toutes parts les cadres étriqués de son temps. Mgr Athanase, théologien, pasteur de son peuple, imprécateur anticommuniste, footballeur et combattant, est l’homme qui m’a baptisé. Cette âme insoumise, qu’aucun synode ne peut contenir, aucune police bâillonner, a donné la réponse qu’il fallait donner, la seule, aux maîtres du monde qui piétinent l’humanité entière après s’être échauffés sur la Serbie.
Mgr Athanase s’est mis à genoux devant une enfant très pure, enlevée à trois ans par un éclat de bombe, alors qu’elle faisait pipi dans sa salle de bains. C’était le 17 avril 1999. Mgr Athanase a convoqué les iconographes afin d’immortaliser sur la pierre antique cet emblème de notre modernité.
Dans leur guerre de lâches contre les civils d’un pays dont ils redoutaient les soldats, les criminels de l’OTAN ont tué des centaines d’innocents comme Milica. Sur le pont de Varvarin, le 30 mai 1999, jour de la Trinité, ils ont aussi assassiné une adolescente connue pour être une mathématicienne de génie. Milica n’était pas la première, mais c’est sa mort absurde et cruelle qui a révolté le pays, c’est ce visage souriant d’un presque bébé qui l’a incité à tenir bon.
Nos maîtres peuvent s’offrir des tribunaux internationaux à leur solde chargés de les blanchir en couvrant autrui de boue. Ce n’est qu’une affaire d’argent. Nos maîtres peuvent modifier à leur gré le droit international ou local, organiser des battues médiatiques contre ceux qui les gênent, escamoter la réalité et la remplacer par une hallucination électronique. Cela coûte énormément d’argent, mais ils savent le trouver.
Mais que peuvent nos maîtres contre Milica, que leurs spadassins abrutis, partis du Minnesota ou de Hambourg, sont allés assassiner pratiquement dans son berceau? Que peuvent-ils si ce pauvre corps qu’ils ont déchiqueté est devenu un corps glorieux? Que peuvent l’ensemble des puissances du monde contre un saint?
Si les Serbes ont résisté à leur pluie de feu durant 78 jours, dans l’héroïsme et dans l’humour, alors que trois jours de semonces auraient dû suffire, c’est précisément parce qu’ils ne sont pas comme eux. C’est parce que, aussi occidentalisés, aussi soviétisés, aussi désabusés qu’ils soient, ils croient au fond d’eux-mêmes en la promesse chrétienne: la déification de l’être humain.
L’enfant Milica est plus que le député de tous les petits innocents assassinés par l’OTAN dans un jeu de massacre. L’enfant Milica déifiée et bientôt canonisée est l’icône de cette résistance inouïe. Patronne de ces 78 jours, elle apporte le 78e nom au registre des saints serbes.
Laissons de côté la foi, si elle vous irrite. Parlons géopolitique: la Serbie officielle est à genoux. Depuis qu’elle a livré son chef récalcitrant, elle ne songe qu’à devancer, haletante, les moindres désirs de ses mentors, de ceux-là même qui l’ont “renvoyée à l’âge de pierre” avec leurs bombes.
Soit. Mais il y a une autre Serbie — ou la même, à d’autres heures — qui organise sa défense et sa survie. Qui reconstruit sa réserve de modèles, de causes qui méritent le sacrifice d’une vie. Qui érige ses monticules, certes petits, mais suffisants pour voir venir l’autre tsunami, le plus dévastateur: le remplacement de l’être humain par une fiction socio-économique...


27 janvier 2005.






Glas javnosti,

Cetvrtak, Sv. Sava, 2005.

Vesti:

Freska Milice Rakić u manastiru Tvrdoš

BANJALUKA - Drevni srpski manastir Tvrdoš kod Trebinja, koji su, prema predanju, podigli car Konstantin i carica Jelena u četvrtom veku, odnedavno je bogatiji za fresku trogodišnje Milice Rakić iz Beograda, žrtve NATO bombardovanja i, možda, budućeg sveca Srpske pravoslavne crkve.

Kako je objavio Glas Srpske, na incijativu penzionisanog episkopa Atanasija Jevtića i po blagoslovu vladike hercegovačkog Grigorija, u crkvi Svetog uspenja u manastiru Tvrdoš živopisana je Milica Rakić kao novomučenica, sa još šest još nekanonizovanih svetiteljki, uključujući i majku svetog Vasilija Ostroškog - Anu. Predlog za kanonizaciju male Milice, kao simbola svih žrtava NATO agresije, predat je Svetom arhijerejskom sinodu Srpske pravoslavne crkve koji donosi konačnu odluku.

Kad se odluka verifikuje, piše se tropar sveca, slika ikona i određuje dan praznovanja u crkvenom kalendaru, a ime novokanonizovanog sveca uvodi se u imenoslov svetih Srba, gde je do sada uvedeno 77 ličnosti.

Tanjug

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Une fresque de Milica Rakić au monastère de Tvrdoš
BANJALUKA - L'antique monastère de Tvrdoš, près de Trebinje, érigé selon la tradition par l'empereur Constantin et l'impératrice Hélène au IVe siècle, s'est enrichi depuis peu d'une fresque représentant la petite Milica Rakić, de Belgrade, enlevée à l'âge de trois ans par les bombardements de l'OTAN, et, peut-être, future sainte de l'Eglise orthodoxe serbe.
Selon le journal Glas Srpske, c'est sur l'initiative de l'évêque retraité Athanase Jevtić et avec la bénédiction de l'évêque Grégoire d'Herzégovine, Milica Rakić a été représentée dans l'Eglise de la Sainte Ascension, au monastère, en compagne de six autres bienheureuses non encore canonisées, dont Anne, la mère de saint Basile d'Ostrog. La demande de canonisation de la petite Milica, en tant que symbole de toutes les victimes innocentes de l'agression de l'OTAN, a été soumise au Saint Synode de l'Eglise orthodoxe serbe, qui prendra la décision finale.
Une fois qu'une telle décision est arrêtée, il est d'usage de rédiger un tropaire en l'honneur du nouveau saint, de peindre son icône et de fixer le jour de sa fête dans le calendrier ecclésiastique, tandis que le prénom du nouveau canonisé est porté au registre des saints Serbes, qui sont 77 à ce jour.

Agence Tanjug, 27.1.2005.


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