jeudi 25 novembre 2004

TPI, la farce en direct


La télévision serbe B-92 retransmet en direct intégral, avec trad. simultanée, le procès Milosevic à La Haye.
C'est une chose de contester in abstracto, ou sur minutes, les procédures de ce tribunal. Bien autre chose de le voir à l'oeuvre.
Les magistrats en robes rouges et perruques (!) Surtout lorsqu'ils sont "gens de couleur"! Quelle différence entre cette mise en scène néo-coloniale et la prétention victorienne à régenter le monde, politiquement et moralement?
Les droits de l'homme, fondement de toute justice à prétention universelle, sont d'origine française. D'où vient cette appropriation anglo-saxonne?
Et le juge Robinson, quelle figure! Quand on suit le procès sur papier, l'essentiel nous échappe: il est noir! Un bon grand-père noir, chenu, à lunettes, souvent désemparé face aux passes d'armes rapides et virulentes entre l'Anglais — Nice, le procureur adjoint —  et le Serbe. Cet homme respectueux, qui plus que tout Européen a appris à vénérér l'ordre occidental, le voici choqué, tétanisé par les renversements de situation où l'accusation en robe se trouve accusée et ridiculisée par un accusé seul et sans avocats! Cela ne figurait dans aucun de ses manuels: ne sait plus que faire!
Plus pittoresque encore que Powell dans le rôle de "l'esclave de maison" que Harry Belafonte imputait à son compatriote Colin au sein du gouvernement impérial américain. (Le domestique de maison, rappelait-il, était celui des esclaves qu'on lavait et habillait, et qui souffrait lui-même lorsque la maîtresse était indisposée.)

Et le procureur en chef, la Del Ponte, qui ne paraît jamais dans le procès suprême, censé couronner sa carrière et la faire entrer dans l'histoire. (Il l'aura fait entrer dans l'histoire, mais par quelle porte! La porte Vichinsky!) Absence frappante! Elle a si mal goupillé ce spectacle qu'elle n'ose plus y mettre les pieds. Elle a pris ses préjugés pour des axiomes si clairs qu'ils se passent de preuves. D'où la totale désinvolture avec laquelle tout est fait, qui compromet l'honneur et la carrière des magistrats même qui y participent (l'avocat commis d'office, Kay, s'est fait démettre lorsqu'une plainte a été déposée contre lui au barreau hollandais, pour infraction au droit fondamental de l'accusé à se défendre lui-même). Elle est le juge-ver, "Worm your honour", qui apparaît dans "The Wall", le cauchemar de Pink Floyd: celui qui crie à l'accusé que "son crime est si incontestable que le jury n'a même pas besoin de délibérer".
Et en même temps, c'est elle que les facultés de droit invitent à des conférences et leçons extraordinaires, c'est elle dont les Suisses baisent la robe internationale, dont la presse occidentale continue de saluer l'intransigeance —  qui n'est qu'un hybride de sottise et de frustration. Encore une pierre d'achoppement qui montre l'ampleur du fossé creusé entre l'Occident et l'humanité de la morale réelle.

Ce jour, 25 novembre, contre-interrogatoire par Nice du général russe Léonid Ivachov, invité par S. M. à témoigner sur le Kosovo. Comme dans le cas précédent (Mihailo Markovic), Nice entre dans des détails invraisemblables, hors sujet, afin, c'est manifeste, de soustraire autant de temps que possible à la défense. Demande à Ivachov les documents originaux (et publics) que celui-ci cite en répondant à son contre-interrogatoire. Lui soumet un document du Groupe de contact Kosovo, en anglais.
Objection de l'accusé: il est incorrect de soumettre au témoin un document dans une langue (l'anglais) qu'il ne connaît pas.
Nice: Nous ferons traduire.
S. M. : Comment ferez-vous? Le voici: il fait 50 pages!
Nice insiste tout de même, arguant que l'accusé a lui aussi soumis des docs en russe au tribunal sans en assurer la traduction.
S. M. rit, franchement. Commentaire de Nice: "Je suis heureux d'avoir amusé l'accusé".
S. M. : "Le russe est une langue officielle de l'ONU, et ce tribunal [de l'ONU, ma rem.] ne dispose pas de traducteurs!"
Et d'ajouter: "Du reste, c'est aussi une langue officielle à l'OTAN!"
Sur ces mots, Robinson proclame une pause de 20 min., comme le coach, au basket, demande un temps mort lorsque son équipe se fait déborder...
Ce détail de traduction traduit en réalité l'orientation d'ensemble de l'affaire: une négation internationale de la Russie. Contestation de ses points de vue, rudoiement de son officier, mépris de sa langue, exclusion de tout magistrat russe ou orthodoxe du TPI. Le Kosovo est une question plus vitale pour la Russie que pour tout Etat occidental: on ne l'interroge pas plus que s'il s'agissait d'un problème sud-américain.




Related Tags: ,

Aucun commentaire: