jeudi 19 juin 2003

Gallois

Le général Gallois, 93 ans, dans son vaste appartement plein de trompe-l'oeil, rue Rembrandt...

Merveilleux homme! Cette patience, cette bonté. Et pourtant, j'étais paralysé, ce matin, lorsqu'il m'a montré les plans de vol de toutes ses missions sur l'Allemagne. Des dizaines de dossiers, soigneusement rangés, avec les cartes sur lesquelles, en vol, il collait des illustrations loufoques ou faisait des dessins humoristiques! (Transmises ensuite par son supérieur "plus haut", parce que les pilotes adoraient...)
Sur le plan de la mission Kiel, une caricature de Bomber Harris...
Et puis: Cologne, Duisbourg, Caen, les bases V-2, et j'en oublie... Aucun remords. Affaire technique, dirait-on. Sur le même ton, m'a expliqué l'intérêt qu'a suscité en lui la bombe d'Hiroshima: protéger la France à peu de frais, après tant d'humiliations. Sauvée par les sous-marins: "Elle n'avait plus à défendre son territoire à partir de la ligne bleue des Vosges, en y exposant la poitrine de ses citoyens, mais à partir des océans et à l'aide d'une petite équipe de spécialistes — 150 hommes par sous-marin — capables à distance d'exercer des ravages considérables et par conséquent de faire respecter mon pays." Que redire à cette logique pure comme la lumière?
Sa crainte en vol? Les collisions entre amis. 400 avions à 400 kmh, volant de nuit, tous feux éteints, à 30 m. les uns des autres!

De retour à la base, il décorait le mess — en trompe-l'oeil, bien entendu! — avec des fresques représentant Paris. La Tour, les grands boulevards, les enseignes lumineuses, les élégantes à caniches... Et puis le café "chez Catherine", reproduit comme à Cinecittà! "Je travaillais de mémoire. Les copains se rassemblaient, confrontaient leurs souvenirs: là, il y avait quatre étages, non, trois. Là, telle enseigne..." Remède au mal du pays!
Plus j'y pense, plus il me semble que le mal moderne est une force impassible qui se sert des hommes comme d'instruments inertes. Une météo mauvaise, en somme. Même sentiment qu'en 99, en songeant aux pilotes de l'OTAN. Ce sont des intempéries où les grêlons mortels sont... des hommes. Comment définir la responsabilité personnelle — le péché! — dans une mission de la RAF en 44? Nous traversons ces flammes comme un songe. Si nous sommes en bas plutôt qu'en haut, il nous faut périr, et puis voilà...
Comment nommer cette anesthésie?
Une démonologie?

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