samedi 4 mai 2002

La fin des Aztèques


On est surpris de voir, dans l’actuelle discussion sur l’avortement à la veille d’une importante votation en Suisse, à quel point la parole est accaparée par des femmes qui ont largement dépassé et l’âge et la situation — et les attraits ! — propices aux « accidents de parcours ».
Ce militantisme des matrones — si l’on ose dire — situe l’enjeu de la question ailleurs que dans la sphère de la socioéconomie et des libertés individuelles où l’on voudrait la cantonner. Car l’enjeu, en réalité, est une affaire idéologique.
Sur le plan des libertés, le sacro-saint précepte moral « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » devrait clore le débat sitôt qu’en l’embryon on verrait un « autrui » et non une simple chose. Mais le débat n’étant pas sur le plan des libertés, le tabou du mal infligé à « autrui » — celui de son assassinat — apparaît, comme on le verra, tout à fait surmontable.
L’argument socio-économique est encore plus désastreux. Comment qu’on le retourne, il débouche sur la nécessité où l’on sera, en 2030, d’euthanasier massivement, pour cause de surcoût, ceux qui, en 2002, auront banalisé l’euthanasie prénatale et par là même décimé le cheptel censé entretenir leurs vieux jours (à moins que — hypothèse futile — les immigrés qui auront entre-temps compensé le trou conçoivent quelque compassion envers ces parasites ruineux). C’est toute la gratitude qu’on pourra attendre d’une descendance parvenue en ce monde à travers les fourches caudines du bon plaisir de ses parents. Puisqu’on aura trié sur le volet les entrants, comment ne pas trier les sortants ?
D’ici là, les coûts du maintien en vie de la population vieillissante décupleront. Aujourd’hui déjà, la taxidermie clinique des moribonds du quatrième âge coûte plus que l’ensemble des soins qu’une personne de santé moyenne reçoit jusqu’à son départ à la retraite. L’instinct de survie communautaire nous prescrirait d’abandonner les vieux bourdons à leur belle mort et de consacrer nos efforts aux jeunes abeilles.
Or là est le hic : n’ayant plus ni l’envie ni le courage de faire place aux jeunes abeilles, il ne nous reste qu’à faire enfler les bourdons jusqu’à ce qu’ils pètent.
J’exagère ? Mais l’ensemble de l’establishment ne chante que cela !
Dans le dernier bulletin du plus traditionaliste et du plus « familial » de nos grands partis, la vice-présidente de l’UDC-Vaud explique longuement que « mieux vaut voter oui… » à la « solution des délais » (Le Pays vaudois, no. 168, mai 2002).
Reconnaissant d’emblée « qu’il est faux de prétendre que ce n’est pas une vraie « vie » à laquelle on met fin en cas d’avortement », Mme Falcone-Goumaz finit tout de même, quatre pages et force contorsions plus loin, par « assumer (ses) contradictions » (traduisez : faire fi de ses principes) en approuvant une initiative qui permet de liquider impunément cette vie (qu’elle ne qualifie tout de même pas d’ « humaine »). Dans l’intervalle, elle s’escrime à faire apparaître la procréation comme une peine, une complication, voire une faute morale. Après cela, chers petits embryons, voyez le service que l’on vous rend en vous broyant en bouillie pour chats avant l’entrée de cette vallée de larmes !
Hier encore, Mme F. aurait dû se barder d’arguties « scientifiques » pour prétendre qu’éliminer un embryon n’est pas un assassinat. Aujourd’hui, elle juge l’assassinat préférable à de mauvaises conditions de vie. L’idéologie de mort, cartes sur table !
Voilà donc l’instinct qui nous guide. Celui qui nous fera un jour arracher les perfusions des vieillards après avoir soigneusement cureté les matrices des jeunes mères. La génération qui voudra prouver ainsi son affranchissement définitif des cycles de la nature n’aura fait qu’amener à son issue logique le fantasme de l’homme-dieu qui, depuis des siècles, hante l’Occident.

*

Lorsque les conquistadores débarquèrent sur le continent américain, ils y furent accueillis par l’odeur fétide d’une civilisation pratiquant l’immolation humaine. « Nos abattoirs de Castille, notait Bernal Diaz, puent moins que ces temples aux murs couverts de sang coagulé ». La cadence, à la pyramide de Mexico, atteignait les 50.000 sacrifices par an. L’équivalent des avortements pratiqués aujourd’hui dans un petit pays d’Europe.
On comprend mieux l’aversion des soudards espagnols envers ces « mygales libidineuses et cruelles » (dixit Mérejkovsky), les Aztèques héritiers d’une civilisation raffinée. On comprend aussi comment quelques centaines d’aventuriers armés et vivants ont pu faire crouler des empires millénaires peuplés de lémures et de larves.

Slobodan Despot
Alias, mai 2002.



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