Le chien fou
A l’heure où j’écris ceci, on ne sait toujours rien du sort de la « balance » qui a divulgué l’ampleur de l’espionnage électronique institué par les agences de sécurité américaines. Edward Snowden se trouverait encore à l’aéroport de Moscou. Il devrait, comme Julian Assange, trouver refuge en Équateur, petit pays d’Amérique latine soudain devenu havre des maquisards numériques. La Russie, sans lui accorder l’asile, a toutefois exclu de l’extrader aux États-Unis, où l’on ne badine pas avec l’accusation d’espionnage. Le soldat Bradley Manning en sait quelque chose, lui qui risque perpète pour avoir révélé via Wikileaks des crimes de guerre US particulièrement hideux. Lui qui, loin d’être distingué pour sa bravoure et son humanisme, fait l’objet depuis son arrestation d’un « traitement cruel, inhumain et dégradant ». Ces mots sont de l’ONU…
Les mêmes mots, voire pires, s’appliquent au traitement des détenus du camp de Guantanamo, que le premier président noir, cool, tweeteur et accessoirement prix Nobel de la Paix ne songe plus du tout à fermer. A voir les vocations de kamikazes que le seul nom de cet enfer suscite dans le monde musulman, on pourrait penser que les États-Unis n’entendent pas éradiquer le terrorisme, mais au contraire le faire fleurir.
Vous souvenez-vous de Bobby Fisher, le plus grand joueur d’échecs de tous les temps ? Je l’ai croisé, dans les années 90, en Yougoslavie. Il y avait rejoué son match historique contre Boris Spassky, au mépris de l’embargo total institué contre ce pays par la « communauté internationale » (lisez : les USA et leur cour). Depuis, ce génie était traqué dans le monde entier pour une partie d’échecs et quelques délits d’opinion. Caché au Japon, malade, il finit par obtenir l’asile en Islande, où il parvint juste à temps pour y mourir en paix. Hors de l’île aux geysers, le monde démocratique et « libre » n’avait pas fait un geste pour lui.
Avec Ben Laden, on a fait encore mieux : presque dix ans après sa mort probable — il était sous dialyse en septembre 2001 ! — le voici qui ressuscite au Pakistan pour se faire abattre et jeter à la mer, sans même une photo, par des commandos US. Trois mois plus tard, le même SEAL Team 6 était descendu dans son hélico au-dessus de l'Afghanistan. Trente soldats d’élite morts d’un coup, et presque rien dans les médias ! Dommage. Pour toute preuve de la capture du Fantômas enturbanné, il nous reste le film de Kathryn Bigelow Zero Dark Thirty, un brillant divertissement qui a bien mérité son Oscar. Les scripts de Hollywood nous tiendront bientôt lieu de manuels d’histoire.
Le gendarme global se comporte comme un chien fou. Il torture, viole, rançonne, bombarde, assassine. Il arme en Syrie les mêmes terroristes d’Al Qaida qu’il prétend traquer ailleurs. Il nous sert des montages pour débiles mentaux que nos autorités et nos médias répercutent par couardise, dénonçant avec zèle les sceptiques. A quel moment la bienséance se mue-t-elle en complicité ? Voilà un bon sujet pour les futurs historiens de la collaboration…
Le Nouvelliste, 28 juin 2013.
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