dimanche 2 septembre 2012

Gendarmes et voleurs

La cacophonie soulevée autour de l’« affaire Varone » a fini par m’inspirer une nausée profonde. Pourquoi y revenir encore une fois ? Parce qu’il reste un exercice à faire : appeler les choses par leur nom.
En bref, M. Varone est inculpé en Turquie de vol de biens archéologiques, parce qu’il a dérobé un bien archéologique.
Ce « bout de chapiteau », l’intéressé l’a de son côté appelé « caillou » et refusé de le reconnaître pour ce qu’il est jusqu’à ce que les autorités turques le fassent pour lui. 

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M. Varone se trouve être à la fois chef d’une police cantonale et candidat au Conseil d’État. Son acte n’en finit pas de susciter des tentatives de défense qui en disent plus long sur les défenseurs que sur l’affaire elle-même. On a ainsi entendu le conseiller national Neirynck déclarer à la radio qu’il eût suffi de tendre un « bakchich » au douanier pour faire passer le morceau, propos de comptoir rappelant fort le « troussage de domestique » invoqué par Jean-François Kahn pour minimiser l’agression de DSK à l’encontre d’une femme de chambre à New York. Un journaliste éminent estime, lui, que cette « épreuve » ferait de l’accusé un encore meilleur administrateur des affaires publiques. Que dirait-on si l’on généralisait le raisonnement aux classes populaires ? « Vous avez volé à l’étalage ? Vous n’en serez que meilleur gérant ! »
Or au délit — puisque délit il y a —, l’officier de police a ajouté le mensonge, du moins par omission. Il a omis de dire que son caillou était sculpté et donc patrimonial. Cette manière de tourner les choses ferait-elle partie des qualités requises par la charge qu’il brigue ? Et qui se demande ce qu’il resterait d’autorité à la police valaisanne pour traquer les voleurs si son propre chef était condamné ? Personne. On s’emploie, en cette affaire comme en d’autres, à banaliser et relativiser les actes afin d’en occulter les conséquences. Au départ des courses, il n’y a jamais que des « peanuts »… Mais au bout ?
En Suisse romande, on n’admet jamais rien, relevait Etienne Barilier dans un pamphlet féroce, « Soyons médiocres ! ». On serre les fesses et l’on fait comme si de rien n’était. En l’occurrence, le « commesideriennétisme » ambiant révèle une attitude désinvolte, cynique et clanique de la nomenklatura vis-à-vis de l’ordre social. « Il a transgressé ? Qu’importe, il est des nôtres ! ». Comme si l’appartenance à tel milieu vous mettait au-dessus du régime commun.
Vers le milieu de l’été, le Valais bouillonnait suite à l’installation illicite d’un campement de Roms à Collombey-Muraz. Du côté des autorités, nul n’avait bougé : il est vrai que le commandant Varone était justement en vacances. On finit par dépêcher la police, non pour déloger les occupants, mais pour les protéger contre la colère des gens. Quand, quelques jours plus tard, confrontée à une situation analogue en terre vaudoise, Mme de Quattro fit évacuer le camp, on s’ébahit de cette soudaine fermeté. Alors que la criminalité explose, que le chef de la police jurassienne réclame des tests ADN sur la totalité des requérants d’asile, que les dealers multirécidivistes sévissent sans entraves, que les braquages à main armée deviennent monnaie courante et que, d’autre part, le gouvernement lui-même piétine ses propres lois dans ses tractations fiscales, faut-il s’étonner qu’une certaine Suisse, désormais accoutumée à vivre avec l’illégalité, fasse grief aux États sérieux de la sanctionner chez eux ?

Le Matin Dimanche, 2.9.2012.

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