jeudi 3 mai 2012

Echec à la reine

Les combats de reines ne sont pas qu’un spectacle typiquement valaisan au retentissement international. Ils constituent un cas rare de divertissement impliquant des animaux qui ignore le sang versé, le voyeurisme sadique et la jubilation primaire de l’humain sur des créatures inférieures dans des affrontements truqués à la base. Les combats de reines sont à la tauromachie ce que la justice civile est au lynchage : un grand saut de civilisation. On élève les reines par tradition familiale, pour ainsi dire comme des membres de la famille, on les ménage en vue de leur noble destinée, et on les fait combattre portantes afin d’émousser leur agressivité. Alors que les tragiques taureaux d’Espagne sont assommés de drogues pour ne pas risquer d’écorner la superbe du macho attifé comme une marquise qui doit leur percer la nuque au terme d’une séance de harcèlement révoltant de cruauté, les reines d’Hérens ne sont confrontées qu’à leurs égales, mues par leurs seules rivalités instinctives et pacifiées par le jeu naturel des hormones.
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Ce témoignage éclatant d’un haut degré de conscience et de respect du vivant est à lui seul une raison d’aimer le Valais. Quoi d’étonnant à ce que les bureaucrates de Berne s’apprêtent à le biffer d’un trait de plume ? Arrivant à la suite de la Lex Weber, du dézonage massif des zones à bâtir et de la motion Gasche visant les retours de concessions, le plan de politique agricole 2014-2017 du Conseil fédéral se présente comme l’estocade du matador. Il conditionne les aides directes aux éleveurs par une formation agricole complète. N’y auraient donc droit que 10 % des éleveurs actuels de la race d’Hérens. Le dévouement, l’amour et la passion des 90 % d’amateurs restants ne représentent aucune garantie aux yeux des cols bleus.
Garantie de quoi, au fait ? Quelle menace pour la santé publique, la paix civile ou l’écosystème cela représente-t-il d’élever une belle vache noire dans son préau ? Les apparatchiks capables d’éradiquer des centaines de milliers de bêtes en Europe sur la moindre suspicion d’épidémie — un massacre de faibles qui ne leur sera pas pardonné au Jour dernier — réussiront sans doute à dénicher dans cette tradition bénigne un risque intolérable. Comme dans toutes les traditions, au reste.
On voudrait susciter un mouvement de sécession valaisan qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais on aurait tort de personnaliser le cas. Le rôle d’essuie-pieds de la Suisse urbaine affecté au Valais n’est que le symptôme d’un putsch affectant toutes les sociétés évoluées : l’accès au pouvoir absolu d’une caste d’administrateurs purement cérébraux, universitaires, en possession d’aucun métier concret, vénérant la lettre et sourds à l’esprit des choses, et convaincus par formatage que toutes les coutumes non réglementées constituent une anomalie intolérable et dangereuse.
Contre le fléau du nivellement bureaucratique, les belles vaches d’Hérens n’auront guère de chances. A moins qu’on appelle Franz Weber à la rescousse…

Le Nouvelliste, 24 avril 2012.

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