jeudi 10 mai 2012

Défense raisonnée de la résistance fiscale (hommage à Karl Hess)

Dans le Petit traité du bonheur et de la résistance fiscale de Karl Hess, on découvre l’étonnante trajectoire qui a mené ce maître à penser de la droite la plus conservatrice à l’anarchisme, des beaux quartiers de Washington D. C. à un bled perdu de Virginie où il exerça le noble métier de soudeur.

Sa vie bascula suite à une visite du collecteur d’impôts. Comme il lui faisait valoir ses justes droits, le fonctionnaire rétorqua que le « juste » n’avait pour lui aucune importance et que seule comptait la loi. « Mon Dieu », s’exclama Hess, « en voilà un qui voit une différence entre ce qui est juste et ce qui est légal. Un parfait soldat nazi. » Il jura donc qu’il ne donnerait plus un sou à ce système dévoyé. Dès lors, tous ses revenus furent saisis. L’illustre journaliste se fit ouvrier et vécut de troc le restant de ses jours.

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Or son « parfait soldat nazi » n’était qu’un fonctionnaire ordinaire de l’IRS, l’intraitable fisc américain. C’est cette même boutique qui régit désormais les us et coutumes de la place financière helvétique. De concession tacite en reculade publique, on en est venu à imposer aux banquiers suisses qu’ils dénoncent eux-mêmes leurs clients soupçonnés de fraude, achevant de démanteler ainsi une tradition de confidentialité qui a bâti, en partie, la prospérité de ce pays. Les vertus de jadis sont devenues des crimes sous la coupe du moralisme hypocrite, qui n’est que la vieille trique des puissants déguisée en plumeau.
Car les Yankees, tout comme leurs vicelards cousins rosbifs, se gardent bien de pousser le dépoussiérage jusqu’à leurs propres paradis fiscaux. N’empêche : la Suisse applique ! Sans discuter et, surtout, en silence. Qui bâillonne le parlement ? Qui détourne les journalistes des vraies questions, faisant de leurs canards des supports de pub neutres, caressants et aseptisés comme des lavettes humides ?
Or s’il est de vraies questions, et notamment morales, voilà une belle occasion de les poser. Certes, les États-Unis sont les champions de la démocratie dans le monde et leur président a le Nobel de la Paix. Mais ils entretiennent aussi, en ce moment même, plus de 1000 garnisons dans 150 pays du monde et six guerres coloniales. Ils ont légalisé la torture et la détention immotivée de leurs propres citoyens. Ils sont les seuls, avec deux de leurs alliés, à utiliser des déchets nucléaires comme munitions, rendant des zones entières impropres à la vie. Leur budget militaire égale celui du reste de la planète. Ce alors que leurss infrastructures sont vétustes, leur école délabrée et leur couverture sociale inexistante.

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Bref : l’argent du contribuable américain sert pour l’essentiel à financer la défense U. S., qui n’est plus qu’une attaque. L’argent qu’on soustrait à ce fauve blessé sauve peut-être autant de vies que celui qu’on donne aux œuvres.
Si vous voyiez Barbe-Bleue poursuivant une voleuse de poules, à qui des deux serait-il plus juste de tendre un croche-patte ?

Le Nouvelliste, 10 mai 2012.


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