Noël, toujours et malgré nous!
Voilà six semaines que les sirènes de la consommation nous y préparaient. Elles étaient bien les seules. Les curés se raréfient comme l’ozone au-dessus de la calotte polaire. Leurs évêques font dans l’humanitaire pour ne pas donner dans l’humain. Les Etats se gênent: faut bien donner des vacances d’hiver à la masse de perdition, mais comment les appeler désormais? Fêtes de fin d’année? Relâches? Solstice? Dans tel vieux pays soi-disant chrétien, prononcer le mot « Noël » est interdit, dans les autres c’est juste ringard. Il faut dire « sodomie », « partouze », il faut dresser le catalogue des dépravations, tout sera moins compromettant que de parler de la nativité de Dieu.
Merci, donc, aux centres commerciaux de nous avoir servi les ultimes restes de la bonne vieille imagerie européenne et chrétienne: anges, séraphins, rois mages, crèches, barbes blanches et paille jaune. Tout le monde est rassemblé autour du berceau, les lampes brûlent et les cantiques jouent en sourdine. Tout est à sa place, à un détail près: le berceau est vide. On a escamoté le bébé pour ne froisser personne.
Cela n’a pas entravé la marche des affaires. Au contraire!
La préparation d’artillerie terminée, on est passé à l’attaque, armés de victuailles jusqu’aux dents! On fête contre vents et marées. Les familles, parce que c’est la fête des familles, où l’on se retrouve, où l’on fait trêve mais où l’on finit par faire jaillir des rancoeurs bandées et enfouies sous les feuillages comme des pièges à loups. Les hédonistes, parce que c’est le meilleur prétexte à bombance de toute l’année. Les païens, parce que c’est le retour du dieu Soleil. Les orthodoxes comme moi, parce que c’est le Noël des copains et qu’on va remettre ça, en plus gras, dans deux semaines.
C’est le Tao-te-King qui résume de la manière la plus sobre la dégringolade de cette civilisation qui fut la nôtre. Remplacez « Tao » par « foi » dans ce qui suit, et méditez:
Après la perte du Tao, vient la vertu.
Après la perte de la vertu, vient la bonté.
Après la perte de la bonté, vient la justice
Après la perte de la justice, vient le rite.
Le rite est l’écorce de la fidélité et de la confiance,
mais il est aussi la source du désordre.
Nous avons eu les sursauts de foi, de vertu, de bonté, de justice. C’est toute notre histoire. Nous voici désormais à l’ultime Noël du rite, « écorce de la fidélité et de la confiance ». Le prochain sera sans doute celui du désordre.
Il n’est même plus temps de se lamenter, de déplorer, de condamner... C’est un sourire léger qui me vient. Comme un soulagement: nous voici seuls face à nous-mêmes, sans l’armure de lois, de préceptes et de croyances qui pensait pour nous. Nous voici au temps que Guénon avait pressenti, où l’effondrement des systèmes de pensée élaborés durant des siècles laisserait place à tous les vents du chaos... Y compris ceux de la liberté.
Pourquoi déplorer la fin d’une époque où nous fûmes dressés, systématiquement, à faire le contraire exact de tout ce qui nous était prescrit, en commençant par nous juger nous-mêmes et à vouloir bétonner notre merveilleux destin par l’accumulation, la surprotection, la banque et la technologie, les quatre cavaliers du péché contre l’espérance?
Joyeux Noël quand même! Car la joie du monde, heureusement, ne dépend pas de nous!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire