mercredi 17 juin 2009

E-manuel

Dans la foulée de ses initiatives «vertes», Arnold Schwarzenegger a annoncé son intention de remplacer les manuels scolaires en Californie par des e-books. La démarche est relayée et commentée sur Schoolgate, le blog éducatif de Times Online.
Comme souvent dans la presse en ligne britannique, les commentaires donnent lieu à des débats hauts en couleurs et en idées. Il vaut la peine d'en suivre le fil. L'un applaudit des deux mains, l'autre proclame la fin de la civilisation. Le troisième objecte l'encombrement, le quatrième le prix à payer...
Personnellement, j'ai eu au début un peu de peine à prendre part.
Le manuel scolaire faisait partie, à mes yeux, de ces outils dont la matérialité constitue une vertu première. Un outil électronique de lecture, c'est un médium entre le lecteur et son contenu qui intercale tout un rideau de protagonistes, de conditions économiques, technologiques et pratiques là où, auparavant, il n'y avait rien. Rien que l'oeil humain face à l'imprimé, univoque et indéniable.
Les parents (dont je suis) ont déjà suffisamment de mal à suivre les programmes d'études souvent abracadabrants de leurs gosses. Doivent-ils encore, pour ne pas perdre le fil, comprendre le fonctionnement d'une nouvelle machine? S'assurer qu'elle soit bien chargée? Que son firmware ou son système soit à jour?
Vous avez déjà vu l'état moyen des parents d'élèves dans une réunion scolaire? Vous les imaginez «feuilletant» l'e-manuel du petit? Oui? Eh bien, bravo! Mais passons. L'affaire n'est pas là.

Supposons que les obstacles techniques et financiers soient levés. Que la gratuité des lecteurs ne masque pas (comme lorsque Bill et Melinda Gates distribuent «gratuitement» des PC en Afrique afin d'en évincer, en sous-main, les systèmes d'exploitation alternatifs) l'OPA d'un ou de plusieurs gros fabricants sur un marché encore embryonnaire. Qu'il ne s'agisse pas, une fois de plus, d'une demande créée et façonnée par l'offre. Supposons que tout se passe dans la candeur et le bénévolat, circonstances particulièrement rares dans le pays dont il est ici question.
Supposons...
Ou alors, ne supposons pas. Contestons!
Comme ça, pendant qu'on discutera du support, plus personne ne songera à s'occuper du contenu.
Pourtant, c'est bien sur le plan du contenu que la révolution «e-manuel» devrait le plus se faire ressentir.

Lorsque d'aventure nos petits ont des manuels, ceux-ci sont retirés, amendés ou remplacés tous les deux ou trois semestres. Comme si les connaissances élémentaires requises pour accéder à une vie indépendante variaient au même rythme que la mode vestimentaire... Quel gâchis!
Là, évidemment, l'e-book ouvre des possibilités vertigineuses de progrès et de modernisation. On le branche sur le réseau le soir, et le matin on repart à l'école avec des e-manuels tout neufs, de préférence sans aucun rapport avec les versions périmées qu'ils ont irrémédiablement écrasées au téléchargement.
On imagine l'économie de moyens et de temps!
Hier, il n'y a pas si longtemps, Herr Moser, dans le Wir sprechen Deutsch, était peint à chaque page, ou presque, la cigarette au bec. Aujourd'hui, fumer = caca: on biffe la cigarette! En un seul mouvement, d'une seule mise à jour...
Hier, Mme White, du cours d'anglais, était sans cesse plongée dans son évier. Aujourd'hui, laver vaisselle = esclavage féminin. Et hop: voici Mme White, d'un coup de baguette magique, transformée en patronne d'un cabinet d'avocats.
Hier, le président Ceausescu, dans nos manuels de géo, était présenté comme un chic type, un ami de la classe ouvrière. Aujourd'hui, Ceausescu = Hitler: on biffe Ceausescu! Ou en tout cas, on lui retire tous les beaux adjectifs pour les remplacer par des moches. Et on lui ajoute même, dans Photoshop, la petite moustache...
Aujourd'hui, le dioxyde de carbone (CO2) est tellement incriminé pour la fonte des pôles qu'on envisage d'interdire aux vaches de péter. Demain, lorsque les hivers seront de plus en plus rudes, on proclamera peut-être que le «réchauffement-climatique-causé-par-l'homme» n'était qu'un montage imposé par des parasites scientifico-politiques pour des raisons de pouvoir, de subsides et de flicage général. Vous imaginez l'impact sur l'environnement (en tonnes de papier pilonné) qu'entraînerait cette petite rectification nécessaire si les manuels scolaires étaient encore imprimés? Avec l'e-manuel, il suffira d'une petite update automatique et furtive dont l'utilisateur final de ne s'apercevra même pas.
On voit d'ici le potentiel de perfectionnement infini qu'introduit la souplesse de l'e-manuel dans l'enseignement scolaire! Il permettra, en quelques minutes ou quelques heures, de corriger des pans entiers de connaissances — pardon: d'erreurs — historiques. Sans dépense d'encre ni de papier, l'histoire, l'écologie, l'éthique ou la «citoyenneté» pourront être récrites et re-enseignées en temps réel.
Ne sera-ce pas une manière infiniment plus écologique, plus «verte», d'enseigner l'histoire?

PS Lecture recommandée avec ce plat: Evguéni Zamiatine, Nous autres.

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