samedi 20 avril 2013

Boucliers humains, ça vous tente?

Lorsque les Diablerets s’effondrèrent sur Derborence, nous conte Ramuz, on en trembla jusque dans la vallée. De même, lorsqu’un F/A-18 décolle de Sion, on en tremble jusqu’à Derborence. Sauf que les Diablerets ne se sont effondrés qu’une fois.

Pour remplacer les vieux Tiger, quasi-furtifs en comparaison, on n’a eu le choix qu’entre trois modèles d'avions de combat à l’empreinte sonore proche de celle du F/A-18, avion le plus bruyant au monde. Imaginez, amis sédunois, le tintamarre actuel multiplié demain par quatre ou cinq!
Dans une précédente chronique consacrée à ce sujet, en décembre 2011, j’avais précisé que je n’étais nullement contre l’aviation, ayant dirigé le magazine du Sion Air Show 2011. J’ajoute encore que je fus l’éditeur et l’ami du général Pierre-Marie Gallois, pilote de guerre, théoricien de la dissuasion nucléaire et inventeur du «Mirage». Voici plus de vingt ans, le grand stratège avait annoncé la fin de l’aviation de combat habitée. Il se demandait en passant ce qu’une armée neutre à vocation défensive comme la nôtre pouvait bien faire d’un chasseur-bombardier américain homologué pour délivrer des attaques nucléaires…
Etant membre de l’Association pour une Suisse indépendante et neutre, je suis naturellement opposé à ces jouets incongrus qui bloquent des investissements utiles à la réelle défense du territoire et nous rendent technologiquement dépendants de l’étranger. Car nul ne nous encore expliqué contre quoi, concrètement, ces engins nous protégeraient. Lorsqu’on posa la question à M. Keckeis, alors aviateur en chef, il parla du terrorisme et du Onze-Septembre — exemple retentissant de faillite de la «couverture aérienne».
Ceux qui défendent bec et ongles ces avions ne croient pas eux-mêmes à leur finalité. Plus exactement, ils s’interdisent d’y penser: c’est un tabou. Ils invoquent surtout les postes de travail qu’ils créent, oubliant de compter ceux dont ils empêchent la création. A part ça, l’argumentation se résume à claquer des talons au garde-à-vous, curieux réflexe disciplinaire hérité du temps des biplans.
Périphérique en ce temps-là, l’aéroport de Sion est désormais incrusté dans un tissu urbain de plus en plus dense. Lors du bombardement massif de la Serbie par l’OTAN en 1999, toutes les populations furent plus exposées que les militaires, mais celles vivant aux abords des bases aériennes vécurent l’épouvante. On pourrait aussi demander aux Géorgiens ce qu’il resta de leurs infrastructures civiles lorsqu’ils provoquèrent la Russie en 2008. Le bombardement «chirurgical» n’est qu’un leurre médiatique et les dégâts dits «collatéraux» sont en réalité essentiels dans la doctrine réelle mais inavouée des guerres modernes, visant en premier lieu les civils. En cas de vraie guerre impliquant l’aviation, toute l’agglomération sédunoise servirait de bouclier humain. Aussi, si quelqu’un dans ce canton croit à l’intérêt stratégique éventuel de sa base aérienne, il doit de toute urgence exiger sa délocalisation en rase campagne.

Le Nouvelliste, 19 avril 2013.

Aucun commentaire: