Un malentendu sur la nature
Glané au fil d'une traduction:
«Ce tourisme, que l’on voit dans les Alpes, donne la fausse impression que l’humanité a commencé d’éprouver sincèrement la beauté de la nature. La vérité, cependant, c’est qu’on ne va dans la nature qu’en été, dans les jours d’oisiveté, lorsqu’il s’agit de reprendre des forces pour les jouissances débridées de la vie citadine. Nul ne sait ressentir comme il faudrait un champ profond parsemé de fleurs, un ciel inondé de lumière, des bois emmitouflés d’ombres. Nul ne voit à quel point ce sentier que nous parcourons chaque jour paraît différent à chaque fois, et qu’aucun matin ne ressemble à l’autre. Nul ne sait plus suivre la vie d’une plante depuis son germe jusqu’à son dernier rameau desséché, ni éduquer un animal de façon à connaître les charmes de son enfance, la fougue de sa jeunesse, la force de son accouplement. Ils donnent leur terre en location à d’autres pour ne pas la travailler eux-mêmes dans la joie qui jaillit de chaque ornière et qui tombe de chaque branche. Ils fuient les plus beaux événements de ce monde: le soleil, la pluie, le vent, les étoiles, la brume. Il y a des gens qui, de toute leur vie, n’ont vu que quelques couchers de soleil, et il en est encore moins qui ont vu l’aube et les orgies du point du jour. — N’admirent la nature que les enfants et les fous; eux seuls parlent avec les plantes le long du chemin et avec les pierres du champ. A l’opposé d’eux se tiennent encore les philosophes et les poètes, qui s’exaltent puérilement et s’émerveillent follement de tout ce que les autres dédaignent.»
Jovan Dučić, «Première lettre de Suisse», in Cités et Chimères. (1906)
Cités et Chimères, extraordinaire correspondance de voyage d'un des plus grands poètes serbes, est à paraître aux éditions Xenia.
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