jeudi 22 décembre 2011

Peanuts, la suite?

J'ai envie, à l'approche de Noël, de vous raconter une fable. Elle m'est inspirée par le sort de "Canines", un roman que nous avons édité l'an dernier, et qui contribua à ressusciter la fameuse affaire Luca. C'est une histoire si édifiante, si universelle qu'on pourrait la résumer en quelques proverbes.
"Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps; vous pouvez même tromper quelques personnes tout le temps; mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps" (Lincoln). Lorsque le petit Luca (Gianni, dans le roman) fut retrouvé nu et violenté dans la neige d'une station valaisanne, et qu'il eut le toupet de survivre, on conclut que son propre chien l'avait déshabillé et molesté, on incinéra le chien et l'on s'empressa de clore le dossier. L'explication était insultante d'invraisemblance. Elle en disait moins sur l'affaire elle-même que sur la morgue d'un système aveugle par paresse ou par intérêt.
"Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. -- Je n'en ai point. -- C'est donc quelqu'un des tiens." Le pouvoir sans limites se moque de la vraisemblance. La Fontaine eût peut-être écrit: "c'est donc sans doute ton chien" si cette épopée du déni de justice s'était passée de son temps.
"Quand le sage montre la Lune, le fou regarde le doigt." Lorsque "Canines" parut, la réaction des médias fut déroutante. La seule chose digne d'intérêt, pour la plupart, était l'identité de l'auteur, caché par discrétion sous le pseudo de "Janus". Oubliés, la tragédie d'un enfant et d'une famille, la quête de vérité opiniâtre d'un homme seul, l'art du romancier qui sut dénouer un écheveau de fausses pistes. Ne voyait-on pas que cette curiosité de concierges était la meilleure alliée de l'arbitraire?
"Nul n'est prophėte en son pays". On n'aime pas se souvenir de l'affaire des fonds en déshérence. Il aura fallu la mobilisation de tout l'appareil d'intimidation et de propagande américain et deux milliards de dollars d'amende pour apprendre aux banquiers suisses -- ces autres mandarins d'un pouvoir qui se croyait absolu --, qu'on ne traitait pas de cacahuètes (peanuts) la dette d'argent et de vérité envers les victimes d'un génocide. Même s'il ne s'était agi que de quelques milliers de francs.
Luca fut traité sans humanité, comme un objet encombrant trouvé dans un champ. Sa vérité, faute d'avoir été entendue par la justice, s'est réfugiée dans un roman, puis dans la mobilisation des simples citoyens. Ce mercredi soir, sur la RAI, devant des millions de téléspectateurs italiens, l'enquêteur privé dont les juges d'ici se sont moqués exposera cette vérité qui n'a pas trouve de place dans son pays. Tandis que les nouveaux ministres d'une Italie en crise ont trouvé le temps de rouvrir un dossier que la Suisse trop sûre d'elle avait écarté. Encore une affaire de cacahuètes à l'horizon...


Le Nouvelliste, 21.12.2011. 

Voir également le dossier "Luca" paru le lendemain dans "Le Matin":

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