lundi 21 novembre 2011

Procès? Quel procès?

L'exécution du colonel Kadhafi est l'un des gros bugs de l'ère virtuelle. Sa mort est due, nous l'avons en effet appris de source bien renseignée, à une erreur de programmation. 
Avant même le début de l'insurrection en Libye, l'OTAN avait mis sur pied un tribunal pénal international. L’opération avait été tenue secrète afin d’assurer à la justice une marge de souplesse en fonction des événements sur le terrain. En cas d'échec de la révolte, on devait pouvoir reprendre les affaires avec Tripoli comme si rien ne s'était passé. 
Mais la révolte des Libyens armés de leur seul courage et de drones progressa rondement. Au fil des semaines, la liste des accusés se réduisit au colonel Kadhafi et à son entourage familial. Quant aux autres dignitaires, leurs méfaits s’effaçaient des disques durs à mesure qu’ils rejoignaient les rangs de la rébellion pro-occidentale. Ce n’était pas la première fois que l’on observait cet étrange phénomène. Une semblable amnésie avait accompagné le passage à l’ouest des cadres scientifiques et policiers du Reich allemand après 1945. Mais à l’époque, l’humanité ayant encore la mémoire un peu plus longue qu’un tweet, la chose avait dû se faire dans la discrétion. En 2011, les techniques d’escamotage de la réalité avaient considérablement progressé, acquérant même une capacité rétroactive. Elles permettaient donc de canaliser l’indignation du public de manière aussi pragmatique que ciblée.

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Le procureur de la Cour pénale internationale, M. Moreno-Ocampo, se gratte la barbe: 
inculpera-t-il les coupables du lynchage de Kadhafi? (La réponse est connue...)

On porta donc à l’ardoise de l’antipathique colonel tous les crimes, réels ou imaginaires, passés et futurs, de son régime, et même ceux de ses adversaires. Au moment des premières frappes, la procédure judiciaire s’enclencha suivant une routine déjà bien rôdée avec le TPI pour l’ex-Yougoslavie. Des infographies furent préparées, des photos shopées, des témoignages accablants furent enregistrés à couvert, visages cachés et voix déformées, comme on le fit pour l’ex-Yougoslavie. Ensuite de quoi, pour garantir leur sécurité, on expédia les témoins-clefs aux antipodes avec une identité toute neuve et un solide compte en banque. Des experts indépendants travaillant pour les think-tanks anglo-saxons démontrèrent l’implication de Kadhafi dans — entre autres — le financement d’Al Qaida, l’attentat du 11 Septembre et la diffusion de la grippe H1N1. Pour éviter les imprévus et les dérapages qui avaient grevé le travail du TPI à La Haye, le procès fut simulé grâce à un logiciel spécial. 
C'est là qu'un opérateur se trompa dans les doses de drogue à administrer au prisonnier. Au lieu de tout avouer, l'accusé virtuel se mit à énumérer les flatteries qu'il avait reçues des dirigeants occidentaux, rappela les valises de fric qu'il leur avait passées, et alla même jusqu'à relever leur soutien "pervers" aux islamistes. La simulation échoua piteusement. Il ne restait plus qu'une solution: l'effacement physique. Dont se chargèrent les vrais rebelles qui avaient capturé le vrai Kadhafi. En temps réel et en toute indépendance.

Le Nouvelliste, 26.10.2011.

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