mercredi 10 novembre 2010

Oskar et les minarets

On me demande déjà, et l'on me demandera encore plus d'ici quelques jours, pourquoi j'ai écrit et publié Oskar et les minarets, le premier portrait biographique d'Oskar Freysinger. 
Pour éviter de me répéter, je livre ici l'avant-propos de l'ouvrage paru cette semaine aux éditions Favre.
Le livre:
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Oskar et les minarets (éd. Favre novembre 2010)
Avant-propos
Oskar Freysinger est à n’en pas douter l’astre le plus insolite de la constellation politique suisse de ce début de siècle. Interpellé, honni, conspué, le tribun de l’Union démocratique du Centre est aussi le seul à susciter une véritable ferveur qui, bien souvent, transcende les frontières de son mouvement politique. Avec sa guitare, ses bons mots, sa chevelure, il ressemble à un bateleur tout droit sorti d’un jeu de tarot ou de la tradition populaire germanique: Till l’Espiègle ou le joueur de flûte d’Hamelin.
Longtemps perçu et exploité comme un bouffon, une caricature des idées de droite, Freysinger a acquis une tout autre stature en tant qu’animateur et fer de lance d’initiatives populaires remportées haut la main que tous, pourtant, croyaient promises au naufrage. Son engagement en faveur de l’initiative visant à interdire la construction de minarets en Suisse aura été déterminant. Fait sans précédent dans l’histoire de la politique moderne, il a mené campagne simultanément dans toutes les régions du pays, livrant des duels clefs à la télévision dans les trois langues nationales. Assumant son rôle jusqu’au bout, il est allé, seul, défendre le vote des Suisses devant les médias étrangers à un moment où la classe politique et le gouvernement ne songeaient qu’à prendre leurs distances par rapport à la grande majorité de leurs concitoyens.
Le succès de ce phénomène est un signe des temps. Ce littéraire, ce manieur de mots, est le seul à avoir intégré l’adage pourtant banal qui veut que la politique est une scène de théâtre. Ses collègues parlementaires le savent aussi, eux qui partagent le bout de gras en coulisses après s’être écharpés pour la galerie. Mais Freysinger, ici comme en toutes choses, refuse de s’arrêter à mi-course. Il joue son rôle avec passion, témérité et roublardise, s’assurant une présence de scène devenue intimidante. Les plus éminentes figures du pouvoir suisse s’assurent désormais de l’absence du Saviésan sur un plateau avant d’accepter les invitations. Car ses prestations, si déroutantes ou narcissiques qu’elles puissent paraître, demeurent rigoureusement asservies à la défense des idées qu’il entend faire passer. Freysinger fait sortir le débat d’idées suisse de sa candeur irénique, de son insignifiance consensuelle, et lui impose un style de controverse propre aux sociétés en proie à des choix fondamentaux et qui les empoignent de front. 
La Suisse où son père et le mien ont déposé leur valise était un pays heureux réputé pour son absence d’histoires. Or, ce pays qu’Oskar Freysinger voudrait, par son engagement politique, préserver des remous de l’histoire, entre avec lui dans le maelström des confrontations politiques sans merci qui sont le lot du reste du monde. Tandis que les réactions effarouchées qu’il suscite chez ses adversaires, pro-européens et partisans de l’ouverture tous azimuts, dénotent, elles, un refus de sortir de ce cocon feutré et puritain, désormais obsolète, où les mots gras sont bannis, où nulle tête ne dépasse et où les affaires se règlent par consensus dans l’intérêt bien compris de la communauté. Le nationaliste internationalise la scène politique Suisse: ce n’est pas le moindre paradoxe soulevé par ce trublion.
La conjonction de la personnalité et du moment invitait à des réflexions que la polarisation et la hâte médiatiques ne permettaient pas. Elle justifierait à elle seule un livre sur le cas Freysinger. 
Tôt ou tard, quelqu’un aurait songé à lui consacrer un ouvrage. Je préfère être le premier. Ce livre n’est pas un de ces exercices d’objectivité journalistique qui dissimulent des jugements biaisés — favorables ou, plus vraisemblablement, hostiles. 
Ce livre est un livre d’ami. Non d’ami politique, mais d’ami tout court. Si j’ai estimé utile et urgent de l’écrire, c’est parce que mon ami Oskar Freysinger est menacé d’un danger imminent: celui d’être confondu — voire de se confondre lui-même — avec l’image publique qu’on a construite de lui, le plus souvent avec sa complicité amusée ou infatuée. 
Le caractère est destin, disaient les Anciens, et celui d’Oskar Freysinger est si carré que le destin probable n’est pas difficile à entrevoir. Nous avons tous connu dans nos classes un personnage de son gabarit. C’était le garçon toujours «partant», serviable, acharné et débonnaire dont la santé débordante tapait sur les nerfs et dont les qualités réelles finissaient par se retourner contre lui. Aujourd’hui, par son travail, son énergie inépuisable, sa foi présomptueuse en lui-même, Oskar Freysinger a accompli une œuvre qui, sans doute, le dépasse et qui a requis, au fil du temps, une certaine schématisation de son personnage. J’ai écrit ce livre dans le seul but de le déschématiser et de rappeler que derrière le masque adulé ou détesté du tribun se trouve un être humain avec ses qualités et ses défauts.
J’ai été, au début des années 2000, le premier éditeur à refuser un manuscrit à Oskar Freysinger, jeune politicien valaisan encore inconnu. Je l’ai fait sans hésitation, mais en motivant mon choix par une lettre détaillée. Ce fut le début d’une estime mutuelle qui vira en amitié ce jour de la fin novembre 2002 où Oskar fut non seulement atteint dans son sanctuaire familial par l’arme sordide de l’incendie criminel, mais encore lâché — momentanément, mais ce sont ces moments-là qui comptent — par son parti. Tout ceci à cause de ses mots!
Je suis né sous un régime totalitaire, dans la Yougoslavie titiste. J’ai vu ce totalitarisme s’effondrer en tant que projet à l’Est pour renaître en tant que mentalité à l’Ouest. La diabolisation d’Oskar Freysinger, qui lui vaut quelques dividendes politiques qu’il accepte un peu inconsidérément, est le produit de cette mentalité qui réduit l’humain à ses idées et permet, à terme, de conspuer ou liquider des êtres sans remords ni états d’âme. La soudaine célébrité internationale que lui a valu son rôle dans le vote controversé sur les minarets a fourni l’occasion opportune pour dresser le portrait humain de cette figure incontournable du paysage politico-médiatique suisse. D’où le titre de ce livre.
Précisons-le d’emblée: nous n’avons, Oskar et moi, pas la même opinion ni la même approche du problème de l’islam. Oskar a choisi d’exprimer ses vues sur la question par la voie politique, et de le faire dans un contexte de rivalité de civilisations. Je m’en suis tenu aux livres, tout en m’intéressant prioritairement à l’usage qui est fait de l’islam dans notre propre monde. J’ai publié, en tant qu’éditeur indépendant, des ouvrages tels que La Turquie chrétienne ou Comment le Djihad est arrivé en Europe — ouvrages inutilisables à des fins partisanes et dont le but était de faire comprendre et sentir une présence encore somme toute abstraite en Occident. Ce dernier ouvrage est du reste prisé des musulmans soucieux de paix, dans la mesure où il démontre comment on a construit un spectre de l’islam terroriste qui justifie les opérations de conquête pétrolière au Moyen-Orient tout en occultant les frictions quotidiennes concrètes entre l’islam et son autre dans cette zone de chambardement démographique qu’est l’Europe.
Cela dit, l’Autrichien et le Serbe, brouillés depuis juin 1914 par une rixe aux conséquences mondiales, se sont découvert en Suisse deux points communs. En premier lieu, un attachement profond pour ce pays qui a accueilli nos familles, pour ses valeurs et ses particularismes au sein d’un monde normalisé. Et puis une conscience atavique de la présence de l’islam, non en tant que culture exotique ou importée en position de minorité, mais en tant que puissance conquérante et inflexible assignant une place et un mode de vie à tout un chacun, et en particulier a ceux qui n’en sont pas. Ce rappel ne vise pas à dire que l’Ottoman est à nos portes — encore que du côté de Constantinople on se remet à en rêver à haute voix — mais pour rappeler aux Européens de l’ouest qu’ils ne voient le plus souvent de cette civilisation qu’un seul versant, celui du dialogue et de la séduction. Un versant qui, dans son histoire, s’efface systématiquement dans les temps et les lieux où l’islam accède à une position dominante.
Ces divergences et ces parentés font l’objet, entre nous, de discussions fréquentes dont les deux entretiens figurant dans ce livre livrent, l’un « en tongs », l’autre « en cravate », la thématique essentielle. 
Il m’a toutefois paru important de ne pas focaliser l’action et les préoccupations d’Oskar Freysinger sur la question des minarets et de l’islam. La trajectoire originale de cet homme, dans la mesure où elle n’est concevable que dans un pays de démocratie directe comme la Suisse, est également représentative d’un système civique unique au monde et grossièrement caricaturé hors ses frontières. Les spécificités du «village gaulois» ne pouvaient être mieux illustrées que par la vie et l’œuvre de celui qui est aujourd’hui l’un de ses citoyens les plus connus et les plus remuants.
Cet ouvrage, composé durant l’été 2010, reflète dans sa structure le parti pris que je viens d’exposer. De l’affaire qui l’a porté au sommet de la notoriété, nous avons remonté le fil de la carrière d’Oskar Freysinger, élargissant la perspective à l’ensemble de ses activités, en particulier à l’écriture. Puis, ayant mieux fait connaissance avec le personnage, nous l’avons invité à débattre à bâtons rompus de ses visions et de ses craintes liées au problème de l’islam.  Oskar Freysinger a lu le texte au fil de sa rédaction et l’a annoté. Ses interventions directes sont indiquées en italiques dans le texte. 
Slobodan Despot
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